événement

Colloque “Sirènes et Filles des Eaux dans l’Océan Indien”, Université de Toliara (Madagascar), 28-30 avril 2008

« SIRÈNES ET FILLES DES EAUX DANS L'OCÉAN INDIEN :
MYTHES, RÉCITS ET REPRÉSENTATIONS »



Colloque International, Université de Toliara (Madagascar) 28-30 avril 2008




Organisateurs :

Pr. Clément SAMBO (Université de Toliara, Centre d'Études en Sciences Humaines)

Pr. Bernard TERRAMORSI (Université de la Réunion, laboratoire L.C.F

- UMR 8143 du CNRS)



- Disciplines et thèmes de recherche : Anthropologie culturelle

- Esthétique

- Etudes indiaocéaniques

- Divinités des eaux

- Femme et Monstre

- Généalogies mythiques

- Littérature Comparée

- Mythanalyse

- Tradition orale



- Aires géoculturelles considérées : Afrique Orientale et Australe, Comores, Europe, Inde, Madagascar, Mascareignes.



Présentation de la thématique du colloque et des recherches en cours



Ce colloque pluridsciplinaire organisé à Toliara (Madagascar) par Clément SAMBO (Professeur d'Ethonologie, université de Toliara) et Bernard Terramorsi (Professeur de Littérature Comparée, université de la Réunion), concrétise le développement croissant de la coopération en Lettres et Sciences Humaines entre deux universités de l'océan Indien. Il s'insère dans un programme de recherche quadriennal sur LE SURNATUREL DANS L'OCÉAN INDIEN, autour duquel gravite une part essentielle de la coopération scientifique et pédagogique avec la Formation Doctorale pluridisciplinaire de l'université de Toliara.
Le colloque fait suite à celui organisé en 2004, à l'université de la Réunion (J.-C. Marimoutou, V. Magdelaine et B. Terramorsi [edit.] : Démons et merveilles, le surnaturel dans l'océan Indien. La Réunion : Océan Editions, 2005). Il se place aussi dans le prolongement du recueil, La femme qui a des ouïes et autres récits de la tradition orale malgache (anthologie établie et préfacée par B. Terramorsi. Marseille-La Réunion : Editions K'A, 314 p. Octobre 2007).

Les travaux se dérouleront du 28 au 30 avril 2008 à l'université de Toliara. Une exposition photographique et des films inédits réalisés par B. Terramorsi à Madagascar (scènes de contage et de témoignage, peintures funéraires de Sirènes), seront présentés dans les locaux de l'Alliance Française de Toliara.

Chaque époque et chaque culture a participé, en Europe, à la construction de la mythologie des Sirènes qui mêle croyances vécues, pratiques cultuelles et explications pseudo-rationalistes. La Sirène crainte et/ou vénérée, est une expérience tantôt fluide tantôt catastrophique des limites de la représentation, elle est une figure syncrétique très paradoxale : sirène-oiseau charmeuse et fatale de la tradition odyséenne et argonautique ; démon ailé parent des Gorgones et des Harpyes ; déité des eaux psychopompes ; figure funéraire apotropaïque ; sirène-poisson du Moyen Age ; symbole chrétien démoniaque ou édifiant ; figure d'angoisse castratrice, confondant altérité et fémininité ...

Les syncrétismes constitutifs des Sirènes sont habituellement analysés au sein des cultures occidentales. Il revient aux études comparatistes de poursuivre l'étude des Sirènes et des entités associées, dans les cultures extra-européennes ; l'analyse croisée des Sirènes et des Filles des eaux des traditions occidentales, et de leurs soeurs indiaocéaniques, reste ainsi à faire. Les communications présentées durant le colloque, à Madagascar, relèveront spécifiquement des études indiaocéaniques. Mais nous souhaitons que la publication des actes, en 2009, soit augmentée d'études sollicitées parallèlement, auprès de comparatistes travaillant sur les Sirènes et les Filles des eaux dans les littératures, l'iconographie et les traditions occidentales, asiatiques, africaines.... La géographie et l'Histoire ont fait de l'océan Indien une voie de passages ; les contacts de cultures et de langues, les métissages y sont la règle et non l'exception : les peuples et les cultures d'Afrique, d'Asie, d'Europe s'y sont croisés régulièrement au fil des siècles. Les Sirènes -que Pline situait aux Indes

- sont des personnages frontières et en ce sens, elles sont emblématiques de cultures métissées. La publication finale entend rendre compte de cette généalogie culturelle mêlée en affiliant aux femmes-poissons indiaocéaniques, leurs parentes occidentales, africaines ou asiatiques (Article sollicité : 35 000 signes maxi.

Date limite d'envoi : juillet 2008.



Contact : bernard.terramorsi@univ-reunion.fr

).


On sait que la morphologie des Sirènes a évolué vers le début du VIIIè siècle ; parallèlement aux sirènes-oiseaux homériques et argonautiques archétypales, sont apparues les sirènes-poissons (Liber monstrorum, fin VIIè siècle), que les artistes puis les clercs du Moyen Âge associèrent aux Filles des eaux des traditions nordiques et germaniques. Cette Sirène ichtyomorphe s'est imposée à partir du XIIè siècle ; une figure très syncrétique -païenne et chrétienne, démoniaque et bienveillante, érotique et protectrice

- que les marins européens diffusèrent aux quatres coins du monde, où elle féconda des flots de croyances et de récits.
Des histoires de femmes aquatiques et animales apparurent très tôt sur les rivages de l'océan Indien : probablement vers le premier millénaire, dans le sillage des migrations indonésiennes, bantous et arabes ; au début du XVIè siècle, en ouvrant la route des Indes, les marins portugais essaimèrent à leur tour nombre d'histoires de monstres marins. Les navigateurs de la Compagnie Française des Indes orientales diffuseront encore, à partir du XVIIè siècle, une multitude de récits extraordinaires. Entre deux ports, les marins imaginent des femmes.

Dans ces îles du sud-ouest de l'océan Indien, les régimes coloniaux voudront plus tard invalider les fonds légendaires et les religions traditionnelles autochtones, au profit de la mythologie gréco-latine, de la démonologie chrétienne et des contes merveilleux européens. Durant des siècles, au cours de processus sociohistoriques souvent conflictuels, des récits de tous bords évoquant des monstres aquatiques et des femmes belles à faire peur, ont navigué et se sont croisées dans et par le Grand Océan.

Dans la fantasmatique socioculturelle indiaocéanique, les Sirènes -confondues avec les « Filles des eaux »

- sont sensiblement différentes du mythe occidental, lui-même plus composite et fluctuant qu'on ne le croit ordinairement . Par delà l'hétérogénéité du monde culturel indiaocéanique, dans les archipels des Comores et des Mascareignes (Réunion, Maurice, Rodrigues), à Madagascar et jusqu'en Inde, les Sirènes exercent une fascination collective et alimentent une multitude de récits oraux et littéraires, de représentations et de croyances.

En Europe les Sirènes sont avant tout des marinae puellae, même si la typologie qui les distingue des ondines, des naïades, des néréïdes et des divers génies des eaux, a connu dans l'Histoire quelques flottements. Dans les îles du sud-ouest de l'Océan Indien, on appelle « sirène » toute femme hybride de poisson, vivant dans les eaux douces ou salées, et dotée de pouvoirs surnaturels : l'amphibisme, l'omniscience et le mimétisme. La Sirène est tenue pour un être réel, d'une beauté irrésistible : de couleur claire -sans être blanche-, elle possède une très longue chevelure lisse qui cache ses attraits féminins ; seul son buste ravissant est décrit, le bas du corps n'apparaît dans sa monstruosité qu'à la chute du récit qui finit, comme son personnage, en queue de poisson. Cette Sirène cherche souvent un époux humain capable de partager son secret/son intimité ; la vie commune peut durer plusieurs années, les enfants héritant de leur mère certains pouvoirs. La révélation de sa surnature par un époux ivre ou vantard, provoque la disparition immédiate et définitive de la femme-poisson et la ruine de l'homme. (Contes-types 3.1.21 et 3.1.22, répertoriés par Lee Haring, Malagasy Tales Index, 1982). Dans certaines versions, c'est le spectacle interdit des ablutions de la Sirène qui provoque sa colère et la rupture : on pense à la fois au mythe d'Actéon -qui entrevoit l'altérité de la nudité d'Artémis se baignant avec ses naïades-, et à la fée Mélusine.

Dans certaines régions de Madagascar, particulièrement dans le Sud-Est, les Sirènes ne sont pas exclusivement de sexe féminin. Il existe aussi des hommes aquatiques qui viennent parfois se mêler aux villageois, lors de fêtes rituelles ; ils sont identifiés par la froideur de leur peau, mais il est interdit de les démasquer publiquement.

Le thème du colloque associe les Sirènes australes -femme à queue de poisson ; femme avec des ouïes ; ancêtre sacré sirène-; et des femmes aquatiques : ondine ; dame du lac /de la fontaine ; femme à écailles ; déesse de l'eau ; fantôme aquatique noyeur ; femme-crocodile ; femme-tortue marine... Pour établir un état des lieux des recherches en cours, on croisera des données esthétiques, ethnographiques, lexicographiques, littéraires et mythologiques. Le choix de rassembler dans la ville portuaire de Toliara, au sud de la « Grande Île », des chercheurs de nationalités et de disciplines diverses, est motivé par la présence récursive des Filles des eaux dans les cultes ancestraux et la tradition orale malgaches.

Aux Comores, Mamé Djamwé est une femme-poisson comestible, mais uniquement pour celui qui l'a pêchée et pourra jurer, sur le Coran, de ne pas avoir eu de rapports sexuels avec elle. À l'île Maurice, les Sirènes sont souvent associées à des nymphes aquatiques de la mythologie indienne omniprésente. Etrangement, dans l'archipel des Seychelles comme à la Réunion, elles ont presque disparu du fonds légendaire créole, l'insularité et l'influence européenne n'étant pas les conditions obligées pour la préservation du mythe. À Madagascar où elles regorgent, les Sirènes sont appellées « enfant/fille de l'eau » (zazavavindrano) dans la plus grande partie de l'île ; dans le sud-ouest, on les appelle « femme avec des ouïes » (ampelamanañisa), car elles possèderaient des ouïes de poisson au niveau du cou ou sous les aisselles. Des relations innombrables attestent d'une présence des Sirènes à l'origine d'aventures diverses, de mariages mixtes et de généalogies mythiques. Dans « l'Île Rouge », les Sirènes ont une grande ascendance. A la fois inquiétantes et bienveillantes, toujours troublantes, elles sont parfois vénérées comme les ancêtres sacrés d'un clan.
Leur mariage apporte la prospérité au pêcheur élu. Le secret de la Sirène est confondu avec l'intimité conjugale ; dès que le mari parle à quelqu'un de son épouse, la Sirène au foyer rompt : elle montre ses ouïes ou sa queue de poisson -selon les versions-, avant de plonger définitivement au fond de l'eau.

Avec les Sirènes du sud malagache -Ampelamanañisa, « la femme qui a des ouïes » -, la transformation des labia en ouïes de poisson et réciproquement fait coïncider le rétablissement de l'identité monstrueuse et l'exhibition/multiplication angoissante du sexe féminin. La queue de poisson est une animalisation angoissante et phallique du bas ventre de la femme. La monstration des ouïes, plus singulière, est une animalisation/sexualisation de la tête féminine : une surérotisation effrayante par son obscénité même. La migration du bas corporel vers la tête est « justifiée » par le monstrueux aquatique, une force surnaturelle surgit ainsi du déplacement anatomique et du mélange des espèces animales. La sexualité est l'enjeu majeur des récits de femmes marines ; l'incorportation d'un élément anatomique propre au poisson (les ouïes) provoque une sexualisation déplacée et agressive. L'apparition des ouïes sur le col de la femme, et leur trop évidente analogie avec la fente sexuelle, signifie que les pulsions cachées reprennent finalement le dessus : on doit voir là que la femme n'a que le sexe en tête. La puissance médusante de « la femme qui a des ouïes » tient à cette tête de con. Et de fait, on constate une contradiction significative entre la tradition orale parlant d'une « femme avec des ouïes »; et les représentations picturales montrant exclusivement une sirène voluptueuse dotée de la queue de poisson habituelle. La « femme avec des ouïes » est irreprésentable.

Le geste d'Ampelamanañisa n'est pas érotique, il signifie : « regarde bien ce que tu as dit/ ce que tu as fait ! » ; ce faisant, il coupe court à la relation par la révélation du fondement monstrueux de la femme. Le caractère phallique d'une telle exhibition sexuelle, a une signfication castratrice pour le mari qui n'a pas tenu sa langue. « Vois ! je suis une femme qui a des ouïes », coïncide avec : « regarde ce qu'il risque de t'arriver, par ta faute... ». La punition du mari grande bouche, passe ironiquement par la multiplication obscènes des lèvres de la femme.

Le mot « isa » désigne les ouïes du poisson dans la langue malgache, et « isy » signifie le sexe de la femme, la vulve. Significativement, un jeu de mot populaire fait dire « ampelamanañisy » (la femme qui a un sexe, une vulve) pour « ampelamanañisa » (la femme qui a des ouïes) : puissance hallucinatoire du mot d'esprit. La Sirène malgache apparaît ici comme une bête de sexe. Une étude comparée de cette Sirène et de la Baubô grecque au geste impudent, s'avèrerait intéressante.

Dans les récits oraux, le concubinage avec la femme-poisson tenue d'abord pour une belle étrangère, mettrait aussi en garde contre l'exogamie : celui qui, aveuglé par la convoitise, prend femme hors de son clan, sait encore moins qu'un autre qui est, au fond, sa moitié. Le mariage mixte tourne à l'horreur, le pêcheur qui ne voulait voir jusque-là qu'une belle nageuse voit qu'il a fait entrer un poisson monstrueux dans son lit. « Qui donc irait coucher avec une bête marine ? » demande Ménélas, transformé en phoque par la fille de la mer Idothée...

Dans les réalités culturelles de l'océan Indien, il y a une hétérogénéité des personnages pisciformes. L'objectif scientifique du colloque et de la publication à venir, n'est pas de produire un illusoire portrait-type de la Sirène indiaocéanique, mais de dénombrer et d'analyser, au sein d'une aire géoculturelle composite, une pluralité de femmes animales aquatiques aux représentations et à la symbolique toujours en devenir.
À la fin de l'ouvrage, à côté d'une anthologie de récits oraux inédits de l'océan Indien, un cahier iconographique réunira une sélection de représentations picturales de Sirènes et de Filles des eaux.



Bernard TERRAMORSI

Professeur de Littérature Comparée

Université de la Réunion

Faculté des Lettres, 15 avenue R. Cassin. Campus du Moufia.

97715 St Denis Cedex

Courriel : bernard.terramorsi@univ-reunion.fr