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De la poésie aux arts visuels, le chant, une expression en partage ? Autour des créations de L. Aragon, P. Neruda, D. Rivera, D. A. Siqueiros, J. González Camarena et J. Lurçat.
Résumé en français
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Résumé en anglais
Face aux grands drames historiques du XXe siècle, Louis Aragon (1897-1982) et Pablo Neruda (1904-1973), deux poètes communistes, amis dans la vie, développent à travers leur œuvre une conception de la poésie et de l’art en général comme une conquête, qu’ils nomment « chant ». Postulant que l’énergie du chant défie les genres littéraires et les cadres de la représentation pour s’afficher comme une expression, l’étude cherche à inscrire le chant dans un horizon qui outrepasse la poésie et à le confronter à des problématiques visuelles en convoquant des livres à tirage limité, illustrés par les peintres muralistes (Siqueiros, Rivera) et en examinant de près les migrations du chant (le livre, le mur et la tapisserie), afin d’identifier la communauté d’enjeux entre ce que les deux poètes appellent « chant » et des réalisations plastiques majeures du XXe siècle
Facing the great historical dramas of the 20th century, communist poets and friends Louis Aragon (1897-1982) and Pablo Neruda (1904-1973) showcased in their respective bodies of work a certain conception of poetry and of art, which they named “canto” (in French “chant”). What both poets call “canto” refers to the idea of a fundamental unity between art and life, and finds itself applicable to all literary genres and artistic fields. In this sense, this article first and foremost defends a vision of the canto as energy, which not only lies at the basis of textual creation but which also informs all other means of artistic expression, especially visual and plastic arts. This demonstration relies on art as well as on books illustrated by muralist painters (Siqueiros, Rivera); it explores the plastic migrations of the canto (in book, wall or tapestry form) in order to further identify the goals and implications shared by the « canto » as a poetic denomination and by some major plastic arts achievements of the 20th century.

ARTICLE

C’est en examinant de près comment Louis Aragon (1897-1982) et son camarade et ami le poète chilien Pablo Neruda (1904-1973) s’emparent tous deux du mot « chant », que l’on se propose d’envisager le problème de la « migration des genres ». Le poète français et le poète chilien se saisissent en effet de ce terme, moins pour lui restituer sa signification originelle ou pour insister sur la dimension musicale de la poésie, que pour créer un registre esthétique transversal, sous-tendu par un idéal politique, et intéressant tous genres confondus, la poésie, la musique et les arts plastiques.
Auteurs polyglottes, grands lecteurs de littératures étrangères, et traducteurs à leurs heures, ces deux amis communistes, qui se rencontrent en Espagne en 1936, embrassent une même idéologie politique et développent, au fil de leur parcours poétique, une pensée du chant qui s’élabore entre les langues, et qui circule d’un langage artistique à l’autre. Pour ces deux poètes-camarades, le chant peut constituer une expression valant dans n’importe quelle sphère de l’activité artistique, il se présente à leurs yeux comme le symptôme de l’unité fondamentale de l’art et de la vie. D’autres artistes semblent aussi partager cette conception du chant, comme en témoignent les réalisations murales de Diego Rivera (1886-1957) telle Chant à la terre et à ceux qui la travaillent et la libèrent (1926-1927), les tapisseries de Jean Lurçat (1892-1966), notamment J’annonce un chant (1954) et le fameux Chant du monde (1957), ou encore la vaste fresque intitulée Présence de l’Amérique latine (1968) de Jorge González Camarena. Contre toute attente, ces œuvres suscitent l’image qui oriente le chant en retour.
Ainsi s’agira-t-il d’examiner comment l’énergie du chant irrigue non seulement le texte littéraire, mais également les autres arts, et plus particulièrement les arts plastiques. C’est en articulant l’approche poétique et l’approche transesthétique que l’on souhaite observer les conditions de circulation et d’exportation, d’un art à l’autre, d’une expression qui perturbe l’approche générique pour profondément mettre en crise la représentation.

La transgénéricité du chant : confondre les chants, confondre les voix

Si Neruda écrit presque toujours en vers, Aragon problématise très explicitement la question du genre littéraire à travers son œuvre : il l’exhibe dans ses titres (Théâtre/roman, Henri Matisse, roman), et dans la forme même de ses créations, si bien que le lecteur peine à définir une œuvre aussi hybride que le Paysan de Paris (1926) et à assurer de manière univoque qu’Aurélien (1944) n’est qu’un roman. L’auteur de La Défense de l’infini (1927) le répète souvent, il ne fait « pas de distinction entre les poètes et les romanciers [1]  », et sa pratique paraît en être le signe : durant les années de Résistance, la création contemporaine de recueils poétiques, comme le Crève-Cœur (1941) ou les Yeux d’Elsa (1942), et d’œuvres romanesques comme Aurélien est signifiante. En cette période de crise historique, l’écrivain français sonde en effet les potentialités de divers genres littéraires et sa pratique polygraphique perturbe à plus d’un titre les frontières poétiques. Aragon invite plutôt le lecteur à penser des dynamiques entre les genres, à appréhender des créations polymorphes, comme le chant, qui transcendent (ou transgressent) les catégories littéraires. Pour Aragon comme pour Neruda, le chant ne relève d’aucun genre spécifique, pas même du langage poétique, il constitue au contraire un dispositif de transgénéricité. Car le chant n’est pas le poème, tout poème n’est pas chant, indépendamment même de sa valeur ; le chant n’est même pas un caractère propre au poème, il est une qualité particulière de l’œuvre d’art qui en informe profondément le sens et la portée, si bien que la question mérite d’être posée en d’autres termes : comment une œuvre devient-elle chant ?
Soucieux du plurilinguisme, Aragon et Neruda s’adonnent à la traduction d’autres oiseaux chanteurs comme Walt Whitman, Vladimir Maïakovski, Langston Hughes ou Rafael Alberti : la lecture en « plus d’une langue [2] », pour reprendre le mot de Derrida, et la pratique régulière de la traduction leur confèrent dès lors une conscience aiguë de la valeur d’un genre ou d’une forme poétique, et de ce qu’elle cristallise dans les histoires littéraires. Ainsi, chez eux, le chant s’affiche comme polymorphe : il peut aussi bien apparaître sous les espèces [3] du romancero (« Le Romancero de Pablo Neruda [4]  »), de la romance (la romance de Clara Zetkin [5] , celle d’Aurélien), ou du chant d’armes (celui du sujet poétique dans Espagne au cœur [6] ou l’appel aux armes de Bérénice dans Aurélien). Pour le poète français, le roman se donne également comme l’une des possibilités du chant dans la mesure où il peut dire, grâce un réagencement original du lyrique et de l’épique, un positionnement des sujets face à l’Histoire en marche.
Ce trouble générique propre au chant tient également aux divers dispositifs poétiques mis en place pour amplifier la confusion des chants. Les deux poètes jouent sur la confusion des voix en entrelaçant savamment leur voix à celle d’auteurs étrangers, de sorte l’on ne sait souvent plus qui chante. L’origine de la voix est opaque, le poème se métamorphose en un espace polyphonique, en espace de concert où les figures auctoriales s’estompent, où la frontière entre sa voix et celle de l’autre est édulcorée, voire gommée. Considérant que le chant est commun, les deux poètes travaillent régulièrement la perméabilité entre intertextualité, imitation et plagiat, afin de mettre en crise l’idée de la propriété et de l’auctorialité comme exclusivité : le poète chilien est à ce titre accusé d’avoir « paraphrasé [7] » (ou « plagié ») Rabindranath Tagore dans les Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée, et  plus tard il « emprunte [8]  » la voix de Walt Whitman pour l’incorporer au Chant général ; Aragon, pour sa part, compose son chant en s’emparant des voix des autres poètes, comme c’est le cas dans Le Fou d’Elsa (1963) avec la voix de Federico Garcia Lorca ou dans l’Élégie à Pablo Neruda (1966) avec celle de son ami chilien. Ce désir de redistribuer les places et les voix des sujets dans le poème s’avère fréquemment corroboré par un autre dispositif polyphonique qui intègre, cette fois-ci, au corps du chant les voix des petites gens. Par exemple, dans ce Chant que Neruda souhaite général, le projet apparaît explicitement au cœur du chant VIII, « La terre s’appelle jean » [« La tierra se llama juan »], où le poète réhabilite les voix des anonymes dont les luttes ont souvent été évincées par l’historiographie dominante. Cette pratique apparaît aussi au cœur du « chant des vauriens [9]  », où les voix des prisonniers, des gitans, de la plèbe, « la Ammâ », composent également le corps poétique du Fou d’Elsa. Et, pour rendre audibles ces voix muselées par l’Histoire, les deux poètes communistes travaillent le volume du recueil comme un espace acoustique, capable de faire résonner ces voix : ainsi Chant général s’apparente-t-il à une « cathédrale aux paupières blafardes [10]  », où les chants se font écho, et Le Fou d’Elsa est associé à une « mosquée dédiée à la folie [11]  ».
Le chant, tel qu’ils le conçoivent, excède la mesure (du vers, du genre littéraire), et cette démesure invite à le penser plutôt comme un « défi » à la représentation. À travers de nombreuses mises en abyme, les romans d’Aragon nouent étroitement la problématique du chant à celle de la crise de la représentation. Le romancier s’y plaît en effet à mettre en scène des personnages de peintres qui échouent à représenter les personnages (féminins) incarnant le chant : dans Aurélien, Bérénice refuse de coïncider avec l’image d’elle construite par Aurélien et n’apparaît qu’au détour d’un triple visage monstrueux peint par Zamora [12] . Dans La Mise à mort, Fougère semble également infigurable au narrateur : « Je ne crois pas que j’oserais, si j’étais peintre, faire seulement le portrait de ses yeux […] ma peinture ne pourrait nulle part être exposée, à cause du scandale [13] . » Si le chant n’est pas confiné au vers, c’est aussi parce qu’à travers son ambition totalisante, il sert, semble-t-il, une plus vaste interrogation sur la représentation, qui perturbe également le genre romanesque. C’est notamment parce qu’il se donne comme l’émanation d’un corps physique, d’un corps social, d’un corps politique singulier ou collectif, souvent infigurable dans un cadre, que le chant entre en concurrence avec d’autres modalités de représentation, notamment la peinture.

Du texte à la fresque : le rhizome latino-américain

Pablo Neruda et Louis Aragon nouent en effet leur pratique poétique aux autres pratiques esthétiques, et la présence d’illustrations dans des ouvrages du poète chilien, mais aussi les Écrits sur l’art moderne d’Aragon invitent le lecteur à envisager d’autres modalités d’expressions comme des extensions visuelles du chant. La communauté à l’origine du chant n’est pas exclusivement poétique, mais esthétique, car la conquête poétique que mènent de front les deux poètes communistes se trouve tantôt amorcée, tantôt relayée par des peintres, des tapissiers et des photographes. Il importe de trouver une manière d’envisager autrement qu’au travers du genre littéraire, cette « extension », de ce qui se présente davantage sous les espèces d’une énergie, d’une energeia, qui est à la fois transgénérique et transmédiale.
Parce qu’il se place pour ces deux poètes du côté du vivant et du « monde réel », le chant semble poursuivre à l’échelle poétique des problématiques communes aux arts plastiques. La pensée du chant mérite dès lors d’être ressaisie dans un contexte esthétique singulier, très idéologique, qui se préoccupe du réalisme, de part et d’autre  de l’Atlantique, car la problématique du réalisme qu’Aragon s’ingénie à examiner en France connaît des échos dans les productions latino-américaines. Au début du XXe siècle, la peinture mexicaine réfléchit précisément aux conditions de réalisation d’un art révolutionnaire et public ; elle sonde les pouvoirs du réalisme et réévalue les missions de l’artiste. Théorisées notamment par les peintres mexicains David Alfaro Siqueiros (1896-1974) [14] et Diego Rivera (1886-1957), ces idées se propagent à travers le territoire latino-américain, au Chili notamment grâce aux réalisations de José Venturelli (1924-1988), en Argentine à travers les créations d’Antonio Berni (1905-1981) et en Europe avec les productions, entre autres, de Fernand Léger (1881-1955) [15] et de Jean Lurçat.
C’est dans ce contexte esthétique, rapidement esquissé, qu’il importe d’appréhender la recherche sur le réalisme et le chant conjointement menée par Aragon et Neruda. Même si le poète français refuse d’être considéré comme un critique d’art, son intérêt pour les arts visuels nécessite d’être mis en perspective avec l’élaboration de la pensée du chant. Grand amateur d’arts plastiques, Aragon a très tôt conscience de la puissance du geste de Picasso lorsqu’en 1912, avec Nature morte à la chaise cannée, ce dernier donne un échantillon de la chose en collant de la toile cirée et de la corde, plutôt que de la représenter. Quand il intègre au tableau un objet réel, le peintre espagnol renonce à la structure double du signe, et se place en deçà de la représentation si bien qu’il altère déjà une idée du cadre en transgressant la limite entre l’univers de la représentation et l’univers réel. Or, le recours à l’incorporation par les arts plastiques fonde aussi, sur le plan poétique, ce que nos poètes appellent « chant », c’est-à-dire une expression où l’incorporation des voix et la pluralité des régimes discursifs employés fonctionnent comme autant de « phonomontages ». Par une singulière analogie, l’écrivain français noue en effet son écriture à la pratique du collage, dont il s’empare pour mettre en place sa théorie du réalisme. De même que le photomontage se fonde sur l’emprunt que le collage fait à la réalité en vue de mettre à mal la représentation comme imitation et de penser une expression, le chant constitue à ses yeux l’« intrusion de la réalité » : autrement dit, il n’est plus une représentation, mais une présence du réel dans la création, son expression pour reprendre la distinction de Nelson Goodman [16] . Il est présent, là, comme la toile cirée et la corde dans la toile de Picasso, certifiant la présence irréductible de la réalité dans le texte, et ne peut être saisi dans un cadre, comme les personnages de Bérénice ou de Fougère.
Du côté nérudien, le problème de la représentation se pose plutôt en des termes de format. Dans la première moitié du XXe siècle, entre autres avec les productions picturales de David Alfaro Siqueiros et Diego Rivera, la peinture d’Histoire revient sur le devant de la scène artistique latino-américaine. Or, ces deux artistes partagent avec le poète chilien et avec un nombre conséquent d’artistes européens le désir de représenter l’Histoire autrement et ailleurs : support original, les murs apparaissent à leurs yeux comme le lieu d’une composition souvent gigantesque, collective, qui rétablit comme chez Neruda plutôt une présence immense qu’une représentation. Au même titre que le poète chilien, les deux muralistes mexicains peignent l’Histoire en adoptant le point de vue des vaincus, et s’essaient à refonder un corps collectif en restaurant notamment la visibilité de héros historiques ou anonymes.
Dès lors, on ne s’étonnera pas qu’en 1950 Pablo Neruda fasse appel aux deux peintres mexicains pour illustrer la première édition de Chant général, publiée au Mexique [17] . Les deux muralistes composent ainsi deux illustrations, qui sont autant d’extensions visuelles du chant, placées aux seuils du livre. Si elle n’est pas une production murale, l’illustration de D. Rivera placée à l’ouverture du volume de Canto general travaille néanmoins la planéité : en rabattant tous les plans à la même surface, en perturbant les perspectives et la bi-dimensionnalité, le peintre mexicain joue, au sein d’une composition tripartite, sur la démesure dans la disposition de l’image pour mettre en lumière une Histoire précolombienne syncrétique (maya, aztèque, inca). Dans cette illustration, la perturbation des échelles place de facto les hommes à la hauteur de leurs créations et le peintre esquisse là une cartographie inédite et originale de l’Histoire américaine qui réévalue la hiérarchisation usuelle des espaces et des temps historiques mésoaméricains. Les strates de ce territoire-palimpseste, célébré par le poète chilien à l’ouverture du recueil, se révèlent alors au creuset de la planéité de l’image qui illustre la montée d’une énergie organique. Par ailleurs, cette illustration n’est pas sans évoquer certains volets (« Germination » et « Forces souterraines ») de Chant à la terre et à ceux qui la travaillent et la libèrent [Canto a la tierra y a los que la trabajan y liberan], fresque réalisée par D. Rivera dans la chapelle de l’Université Autonome de Chapingo (Mexique) en 1926-1927, et dont Neruda s’est sans aucun doute inspiré.
Les choix de David Alfaro Siqueiros pour l’illustration terminale de Canto general sont, quant à eux, bien différents. En effet, à la clôture du livre – et donc du Chant général – émerge d’un espace anonyme, mais comme en éruption, un homme nu, sans visage, les bras tendus vers un au-delà. Grâce à un savant déséquilibre entre les plans, soutenu par le contraste des couleurs pures, le peintre exploite le topos de l’éruption volcanique cher à la peinture mexicaine, mais il abandonne ici la peinture de paysage pour faire valoir la mise en scène de l’énergie : l’homme se donne comme le fruit ou le fils d’une énergie provenant des tréfonds de la terre, les bras tendus vers le spectateur, comme souvent chez Siqueiros. Dans son illustration, le peintre muraliste parvient à résoudre la tension entre l’individuel et le collectif placée au cœur du Canto general : la représentation figurative met en crise, comme dans la poésie nérudienne [18] , le visage, l’identité individuelle, pour faire valoir un corps. Siqueiros impose au spectateur la présence de ce nouveau héros, l’homme, qui semble naître à la pliure même de l’objet-livre. Par conséquent, ce sont là deux lectures bien distinctes de l’Histoire et du recueil que les peintres mexicains, par ailleurs en désaccord sur le plan idéologique, manifestent ici : fidèle à la figuration, Rivera favorise la représentation archétypale alors que Siqueiros préfère, pour sa part, extraire le recueil de son ancrage référentiel et symboliser au creuset du travail de la page l’émergence d’un homme, au sens générique du terme, nouveau. Paradoxalement encadré par deux peintures de muralistes, Canto general connaît là des extensions qui n’isolent pas le chant dans le livre : au contraire, elles constituent autant d’expressions plastiques du chant. Grâce à sa force d’évidence, l’illustration de Siqueiros saisit le lecteur qui, en refermant le livre, reste frappé par la présence de cette énergie infigurable et irreprésentable dans un cadre qu’est le chant.
Une autre fresque, plus tardive, met en évidence ce rhizome particulièrement dense qui s’élabore entre les artistes latino-américains ainsi qu’une nouvelle modalité d’extension du chant en dehors du texte. En 1968, l’artiste mexicain Jorge González Camarena (1908-1980) s’inspire [19] du Chant général pour composer Présence de l’Amérique latine [Presencia de América latina], œuvre gigantesque de 211 m2 peinte sur les murs de l’université de Concepción (Chili). Dans le cas de cette fresque, le chant se donne comme « une énergie synthétique [20]  », pour reprendre le mot de Siqueiros, qui circule de génération en génération : plus qu’un « thème » emprunté à Neruda, Jorge González Camarena met en évidence les strates de la mémoire (politique, esthétique et littéraire) latino-américaine grâce à la superposition des figures et des plans. Dans cette œuvre monumentale, de nombreux détails de la fresque font d’une part référence au Chant à la terre de ceux qui la travaillent et la libèrent de Rivera et d’autre part à des vers de Neruda qui ouvrent le chant des « libérateurs ». La mise en perspective de ces trois œuvres est le témoin de la création d’un chant transnational et transesthétique puisqu’en prenant appui sur le chant de D. Rivera à l’ouverture du chant III, « Les libérateurs » [« Los libertadores »], Neruda célèbre à son tour les métamorphoses successives de l’arbre (« arbre terre », arbre nuage », « arbre des hommes libres ») pour prophétiser l’avènement de « l’arbre du peuple, tous les peuples ».

Aquí viene el árbol, el árbol
nutrido por muertos desnudos,
muertos azotados y heridos,
muertos de rostros imposibles,
empalados sobre una lanza,
desmenuzados en la hoguera,
decapitados por el hacha,
descuartizados a caballo,
crucificados en la iglesia.
Aquí viene el árbol, el árbol
cuyas raíces están vivas,
sacó salitre del martirio,
sus raíces comieron sangre
y extrajo lágrimas del suelo:
las elevó por sus ramajes,
las repartió en su arquitectura.

Voici venir l’arbre, c’est l’arbre
nourri par des cadavres nus,
des morts fouettés et estropiés,
des morts aux visages troublants
empalés au bout d’une lance,
recroquevillés dans les flammes,
décapités à coups de hache,
écartelés par les chevaux,
crucifiés par les églises.
Voici venir l’arbre, c’est l’arbre
dont les racines sont vivantes,
il a pris l’engrais du martyre,
ses racines ont bu du sang,
au sol il a puisé ses larmes
qui par ses branches sont montées
parsemant son architecture [21] .

Ce fragment de l’ouverture du chant des « Libérateurs », qui fait directement écho à celui des « Conquistadores », annonce la régénération d’un corps, qui est sa propre matière. Qu’il soit poétique ou pictural, le chant prend ainsi en charge la reconstruction d’un corps dont la croissance est paradoxalement produite par la multiplicité des corps morts. La force d’évidence de l’œuvre de Jorge González Camarena tient, quant à elle, à son format immense, mais aussi à la manière dont elle relaie, dans le domaine plastique, des mémoires plurielles, culturelles, picturales et littéraires. Ce sont là quelques exemples signifiants, mais il importe de préciser que l’énergie du chant nérudien a connu d’autres modalités d’extensions visuelles au cœur d’œuvres majeures d’artistes du XXe siècle comme celles de Pedro Olmos (1911-1991), de José Venturelli (1924-1988), d’Antonio Quintana (1904-1972) ou encore d’Ernest Pignon Ernest (né en 1942). On comprend ainsi mieux pourquoi, au lendemain de la mort du poète, son camarade Siqueiros rappelle la communauté d’enjeux qui rassemblait à cette époque les artistes, au-delà des spécificités de chacun :

Lorsque j’ai réalisé en 1950 la quatrième de couverture de ton livre « CHANT GÉNÉRAL », je conçus ta création comme celle du plus grand poète muraliste, le chanteur de l’Espérance pour tous les peuples opprimés de notre Amérique latine et du monde entier [22] .

En qualifiant le poète chilien de « poète muraliste », l’artiste mexicain met à mal la distinction entre poètes et peintres et propose, à travers le langage verbal cette fois, de dessiner une communauté esthétique nouvelle, qui perturbe les frontières entres les arts et les nations. Le chant n’est ainsi pas seulement une affaire littéraire, il est aussi une énergie qui transcende les genres littéraires et les arts. Les extensions murales du chant, dont on a étudié certains exemples, invitent le lecteur à penser en des termes nouveaux la métaphore musicale : le chant se meut dans le texte, mais également hors-texte si bien que le poète, le peintre, le tapissier et le musicien peuvent également s’en faire le relais. Dans le domaine pictural, les créations que D. Rivera intitule ponctuellement « chants » poursuivent une réflexion politique et esthétique sur le volume et sur la représentation expressive de l’Histoire, représentation à laquelle Siqueiros donne, quant à lui, un tour encore plus idéologique.

Le chant et la tapisserie : L. Aragon et J. Lurçat

Une dernière modalité d’extension du chant, celle de la tapisserie, permet d’éclairer de manière originale la réflexion sur les migrations des genres. Peu connu du grand public, l’art de la tapisserie gagne en visibilité dans les années 1930 en France. Des artistes comme Marcel Gromaire (1892-1971), Jean Lurçat ou encore Fernand Léger (1881-1955) étudient à cette époque les potentialités de l’art licier au moment même où ils contribuent à la réflexion politico-esthétique, menée par Aragon, autour de la Querelle du réalisme. Soucieux de promouvoir un retour à l’artisanat et de repenser la distinction entre grand art et traditions populaires, ils promeuvent la tapisserie sans délaisser la monumentalité de la peinture d’Histoire, ni l’ambition du chant. L’art licier et la peinture murale partagent des contraintes et des implications (le grand format, la sortie du cadre, la réhabilitation du mur), mais la tapisserie se distingue par sa mobilité, son poids et sa lenteur d’exécution. Par les potentialités de ses dimensions, elle se prête par ailleurs aisément à une mise en scène épique de l’Histoire. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, le peintre cartonnier Jean Lurçat, proche d’Aragon, fervent lecteur de Neruda et de Whitman, et grand admirateur des muralistes mexicains, maintient un engagement politique et esthétique : en 1943, il fait tisser clandestinement le fameux poème « Liberté » de Paul Éluard, puis il entreprend de faire réaliser plusieurs tapisseries, telles que La Terre (1943), L’Homme (1945), Terre, air, eau feu, tapis de mes souffrances (1946), dont les titres rappellent non seulement la série de peintures murales de D. Rivera, Chant de la terre et à ceux qui la travaillent et la libèrent, mais également le Chant général, en train de s’écrire à cette époque, et certains poèmes d’Aragon.
En effet, dans les années 1940-1950, Lurçat s’intéresse aux poètes dont il ne sépare pas les pratiques car, pour reprendre ses mots, la peinture murale et la poésie prennent « toutes deux pieds sur terre [23] ». Or, ce souci d’une appréhension totale de l’expression artistique, au-delà des contraintes spécifiques de chaque médium, connaît, en 1943, une formulation originale puisqu’il nomme « chant » la capacité à faire naître l’émotion des œuvres contemporaines : « […] les œuvres les plus bouleversantes de notre époque, [ressortissent] toutes à la notion du chant [24]  ». Il étaie en 1947 l’analogie entre le chant et l’art licier en précisant que la tapisserie est « un chant : et qui plus est, un chant d’intentions épiques : un cœur à plusieurs voix dont les participants (les liciers) doivent, comme il sied à tout exécutant, pousser leur voix les yeux fixés sur le bâton du chef d’orchestre [25] . » À la lumière de ses affinités esthétiques et poétiques, l’emploi de la métaphore du chant n’est pas surprenant. La métaphore n’a rien d’un ornement, elle révèle le travail sur le format, le souffle épique et l’élan lyrique sur lesquels la poésie n’a pas un droit de réserve. Dans les années 1940, au moment où Lurçat fréquente régulièrement Aragon, une théorie du chant semble se développer pour se déployer dans les années 1950 si bien que G. Denizeau, spécialiste de son œuvre, considère qu’il est tout à fait probable que les œuvres de Neruda et d’Aragon aient pu contribuer au développement d’une théorie personnelle du chant dans le domaine licier. En effet, dans la tapisserie Chant du monde, initialement intitulée la Joie de vivre, le peintre approfondit le brouillage esthétique entre chant, musique et tapisserie puisque cette œuvre, laissée inachevée par la mort de l’artiste, devait également célébrer la musique, les arts, les jeux, etc. Chez Lurçat, le chant renvoie également au collectif, dans son rapport étroit à l’Histoire. Le peintre emprunte d’ailleurs les pratiques nérudiennes et aragoniennes puisqu’il intègre, à son tour, dans son chant les voix des autres, sans toutefois mentionner les auteurs : en 1954, année où paraît le Chant général dans la traduction d’A. Ahrweiler avec des illustrations de F. Léger, il lance la réalisation de deux tapisseries qui nous semblent particulièrement significatives : J’annonce un chant (1954) et Le Chant général (1954) où la voix du poète chilien se mêle au tissage de la tapisserie.
La circulation entre chant et tapisserie gagne encore en intérêt lorsqu’on la met en perspective avec la réflexion engagée par Aragon sur la tapisserie dans les Écrits sur l’art moderne, les poèmes du Crève-cœur [26] (1941), ceux de La Diane Française (1944) et enfin ceux du Nouveau Crève-cœur (1948). Ces œuvres confirment la conscience qu’avait le poète du renouvellement de la peinture murale et de la tapisserie puisque dès 1941, Aragon publie « Tapisserie de la Grande peur [27]  », projet qu’il reconduit en 1944 dans « Six tapisseries inachevées [28]  », et qu’il déploie dans Le Nouveau Crève-cœur [29] où, cette fois, toute une section du recueil s’intitule « Tapisseries [30]  ». Grâce au jeu des titres, Aragon fait non seulement référence à des productions médiévales, notamment la Tapisserie de l’Apocalypse, mais aussi à des productions licières contemporaines de la rédaction de ces textes. Dans le poème « Six tapisseries inachevées », Aragon recherche une manière brève et efficace pour dresser des scènes, à la manière de Lurçat. Le poème s’ouvre ainsi : « Terre air eau feu Tapis de mes souffrances ». Or, en 1946 [31] , Lurçat fait réaliser une tapisserie qui prend précisément pour titre le décasyllabe d’Aragon. Du côté du poète, le texte n’est pas daté, il est intégré à la Diane française, recueil composite élaboré a posteriori, dont les textes écrits de 1942 à 1944 renouent avec la simplicité et l’efficace poétique. Au sujet de cette singulière interaction entre poésie et tapisserie, il est possible à ce jour de formuler deux hypothèses : soit le peintre français s’inspire des « Six tapisseries inachevées » d’Aragon pour créer et intituler son œuvre, soit le poète se fonde sur des cartons du peintre, qu’il aurait pu aisément connaître par l’artiste lui-même ou des amis communs (P. Éluard, C. Roy). À cette heure, les hypothèses demeurent en suspens : les spécialistes de l’œuvre de Lurçat penchent pour la première interprétation, mais les lecteurs d’Aragon ne peuvent exclure la seconde, bien que celle-ci paraisse moins probable. Si tel était le cas, l’intérêt d’Aragon à cette époque pour la légende et les éléments mériterait d’être ressaisi au prisme de l’œuvre de Lurçat qui examine précisément à la même période la dimension élémentaire du monde. À l’inverse, l’autre hypothèse, qui demeure la plus probable, confirme la possibilité d’un chant advenant hors texte : relais des voix, Lurçat incorpore à son tour, et dans son propre langage plastique, les chants des poètes qu’il fait siens.
Par conséquent, ce que Neruda et Aragon nomment « chant » désigne une énergie qui n’est pas seulement l’apanage des poètes. De nombreux artistes contemporains aux deux auteurs s’en saisissent, si bien que l’usage de ce mot excède la métaphore musicale pour signifier davantage une modalité globale de l’expression artistique qui met à mal « l’exclusivité des parts et des places » entre les arts et qui cherche à créer une communauté nouvelle par la redistribution des espaces de visibilité des arts. En remobilisant des pratiques poétiques ou artistiques parfois très anciennes, collectives, le chant vise à (r)établir une expérience sensible en commun. Loin d’être les seules à porter les traces de ces migrations, les œuvres d’Aragon et de Neruda montrent que le chant ouvre vers un partage des pratiques ; elles invitent le lecteur à réévaluer la pertinence de l’approche générique stricte et à porter un nouveau regard sur la zone floue qui distingue ou qui unit les arts, sans pour autant minorer les spécificités de chaque médium. À travers la composition de son œuvre, qu’il ne cesse de tisser et détisser, Aragon s’essaie à court-circuiter les distinctions entre les arts et les genres littéraires, et l’œuvre de Neruda, quoique moins prolixe sur ce point, prouve que le grand concert du monde ne peut être seulement orchestré par les poètes.

Bibliographie

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  • Vouilloux, Bernard, Langages de l’art et relations transesthétiques, Paris, Éditions de l’éclat, coll. « Tiré à part », 1997.

Notes

  • [1]

    Louis Aragon, Entretiens avec Francis Crémieux, Paris, Gallimard, coll. « Blanche, » 1964, p. 133.

  • [2]

    Jacques Derrida, Mémoires pour Paul de Man, Paris, Galilée, 1988, p. 38 : « Si j’avais à risquer, Dieu m’en garde, une seule définition de la déconstruction, brève, elliptique, économique comme un mot d’ordre, je dirais sans phrase : plus d’une langue ».

  • [3]

    Ces « genres » présentent pour certains, dans l’usage renouvelé qu’en fait le XXe siècle, la même indéfinition que le chant : ils sont peut-être moins des formes que les marqueurs d’une idée.

  • [4]

    Louis Aragon, « Le Romancero de Pablo Neruda », 1948, Le Nouveau Crève-cœur, dans Le Crève-cœur. Le Nouveau Crève-cœur, Paris, coll. « Poésie/Gallimard », rééd. 1980, p. 163-183.

  • [5]

    Louis Aragon, Les Cloches de Bâle, 1934, Paris, Gallimard, coll. « Folio », rééd. 1972.

  • [6]

    Pablo Neruda, « Explico algunas cosas », Residencia en la tierra, Obras completas (dorénavant abrégé OC), t. I, éd. Hernán Loyola, avec le concours de Saúl Yurkievich, Barcelone, Galaxia Gutenberg, coll. « Círculo de lectores », 1999, p. 369-370 ; « J’explique certaines choses », Résidence sur la terre, trad. fr. de G. Suarès, Paris, coll. « Poésie/Gallimard », 1969, rééd. 1972, p. 161-163.

  • [7]

    En plaçant en vis-à-vis, la traduction espagnole du poème « XXX » de R. Tagore et celle du poète chilien, la revue chilienne PRO a révélé en 1934 la similitude entre le poème 30 du Jardinier d’amour, dans la traduction établie par Zenobia Camprubí, et le poème 16 des Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée. En 1960, Neruda revient sur cette accusation de plagiat en reconnaissant l’influence de l’œuvre du poète bengali sur sa production, influence qu’il qualifie de « paraphrase ». Voir Pablo Neruda, « Polémica », « Pequeña historia de los Veinte poemas de amor », OC, t. IV, éd. citée, p. 1053-1056. Notre traduction.

  • [8]

    Sur ce point, voir Delphine Rumeau, « Traduction, revendication et appropriation : l’exemple de Walt Whitman traduit en espagnol et en français, par des poètes », dans Traduction et partages : que pensons-nous devoir transmettre ?, Actes du XXXVIIe Congrès de la SFLGC, Université Bordeaux Montaigne, octobre 2011 publié en ligne sur le site Vox Poetica. URL : http://vox-poetica.com/sflgc/actes/traduction/8.4.%20Rumeau.pdf

  • [9]

    Louis Aragon, « Chant des vauriens », Le Fou d’Elsa, 1963, Paris, coll. « Poésie/Gallimard », rééd. 2002, p. 45-46.

  • [10]

    Pablo Neruda, « Eternidad », Canto general, OC, t. I, op. cit., p. 638 : « La tierra es una catedral de párpados palidos » ; « Éternité », Chant général, op. cit., p. 270.

  • [11]

    Louis Aragon, « Elsa qui est une mosquée à ma folie », Le Fou d’Elsa, op. cit., p. 255.

  • [12]

    Louis Aragon, Aurélien, op. cit., p. 367-368 : « Aurélien, dans le tourbillon, arrive devant le portrait de Bérénice. […]. C’est assez ressemblant, ça se permet d’être assez ressemblant, sans l’être tout à fait. Cela provoque aussi, quand on regarde fixement, une impression de crampes dans les mâchoires. On perd de vue ce qui est à un dessin, ce qui est à l’autre, on cesse de lire ces deux visages distinctement, et il naît un monstre, deux monstres, trois monstres, suivant comment on associe ces yeux et ces lèvres dépareillés, ce front et ce nez, ces espaces démesurés, ce menton qui devient pathologique… »

  • [13]

    Louis Aragon, La Mise à mort, op. cit., p. 355.

  • [14]

    David Alfaro Siqueiros, Como se pinta una mural, 1951, La Havane, Editorial Arte y Literatura, rééd. 1985.

  • [15]

    Fernand Léger, Fonctions de la peinture, 1965, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », rééd. 1997.

  • [16]

    Nelson Goodman, Langages de l’art, trad. fr. de J. Morizot, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, 1990.

  • [17]

    Pablo Neruda, Canto general, México, Talleres Gráficos de la Nación, 1950. Édition spéciale établie par l’auteur et M. Prieto. Gardes réalisées par D. Rivera et D.A. Siqueiros. Tirage à 500 exemplaires. Archives de la Fondation Neruda.

  • [18]

    Voir sur ce point Olivier Kachler, « Les prophéties de la voix : Akhmatova, Césaire, Neruda », dans Voix épiques : Akhmatova, Césaire, Hikmet, Neruda, (dir.) Olivier Kachler, Mont-Saint-Aignan, Publications des universités de Rouen et du Havre, 2010, p. 215-243.

  • [19]

    Voir Pablo Neruda, « La visita de Margarita Aligher », Para nacer he nacido, Barcelone, Seix Barral, coll. « Biblioteca breve », 1978, p. 100 ; « La visite de Margarita Aligher », Né pour naître, trad. fr. de C. Couffon, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1980, p. 114 : « La fresque, gigantesque, mesure quarante mètres de long sur huit mètres de haut. C’est en lisant mon Chant général, m’a dit le peintre, qu’il a trouvé le thème de l’œuvre. Ce qui me fit plaisir. »

  • [20]

    Sur ce point, voir Ana Cecilia Hornedo Marín, « L’“énergie synthétique”. Espace esthétique et espace politique dans la peinture murale mexicaine (1920-1940) », dans Un siècle de peinture murale – Fonctions et dynamiques comparées, (dir.) Francesca Cozzolino  et Ariela Epstein, coll. « Images, mémoire et son », Paris, 2014. URL : https://nuevomundo.revues.org/67383

  • [21]

    Pablo Neruda, « Los libertadores », Canto general, OC, t. I, op. cit., p. 478 ; « Les Libérateurs », Chant général, op. cit., p. 89.

  • [22]

    David Alfaro Siqueiros, « Carta a Pablo Neruda, entregada en la mano propia de su pueblo », lettre ouverte en date du 24 septembre 1973, au lendemain de la mort du poète chilien. L’ensemble de ce texte n’est pas publié à ce jour. Archives de la Fondation Pablo Neruda à Santiago du Chili. Notre traduction.

  • [23]

    Jean Lurçat, « Lettre sur l’art mural », Giotto, Paris, Éditions Amiot-Dumont, 1954. Repris dans Tapisseries de Jean Lurçat, 1939-1957, Belvès, Pierre Vorms, coll. « Éditeur d’art de Dordogne », 1958, p. 157-158.

  • [24]

    Jean Lurçat, « Formes et Couleurs », Contre la peinture de chevalet, n°6, Lausanne, 1943. Texte partiellement reproduit dans ibid., p. 156-157. En italique dans le texte.

  • [25]

    Jean Lurçat, Le Travail dans la tapisserie murale du Moyen Âge, Genève, Éditions Pierre Cailler, 1947, p. 50.

  • [26]

    Composé entre le mois d’octobre 1939 et le mois d’octobre 1940, ce recueil annonce le retour d’Aragon à la poésie en vers. Les textes sont d’abord publiés en revues. Ce n’est qu’en 1941 que Gallimard fait paraître une première édition dans la collection « Métamorphoses », rééditée en 1946. L’édition dans la collection « Poésie/Gallimard » reprend la version de 1946. Sur ce point voir O. Barbarant, « Notes sur le texte », OPC, t. I, op. cit., p. 1436-1437.

  • [27]

    Louis Aragon, « Tapisserie de la Grande peur », Le Crève-cœur, op. cit., p. 44-45.

  • [28]

    Louis Aragon, « Six tapisseries inachevées », La Diane française, OPC, t. I, op. cit., p. 997.

  • [29]

    De nombreux poèmes du Nouveau Crève-cœur, notamment ceux extraits de la section intitulée « Tapisseries » sont pré-publiés entre 1946 et 1948.

  • [30]

    Louis Aragon, « Tapisseries », Le Nouveau Crève-cœur, op. cit., p. 118-123.

  • [31]

    Nous utilisons ici la date de réalisation donnée par Claude Roy ; Anne Sauvonnet-Salaün et la Cité de la Tapisserie nous ont confirmé que le carton de Lurçat datait de 1945 et que la tapisserie avait été achevée le 14 janvier 1946.

  • [32]

    Jacques Rancière, Le Partage du sensible, Paris, La Fabrique, 2000, p. 12.

Pour citer cet article

Margaux Valensi, "De la poésie aux arts visuels, le chant, une expression en partage ? Autour des créations de L. Aragon, P. Neruda, D. Rivera, D. A. Siqueiros, J. González Camarena et J. Lurçat", SFLGC, Bibliothèque comparatiste, publié le 01/07/2019., URL : https://sflgc.org/acte/valensi-margaux-de-la-poesie-aux-arts-visuels-le-chant-une-expression-en-partage-autour-des-creations-de-l-aragon-p-neruda-d-rivera-d-a-siqueiros-j-g/, page consultée le 25 Avril 2024.

Biographie de l'auteur

VALENSI Margaux

Enseignante de Lettres modernes et chargée de cours à l’Université Bordeaux Montaigne, Margaux Valensi a soutenu une thèse de littérature comparée (2016) intitulée la « Politique du chant dans les œuvres de Louis Aragon et Pablo Neruda. L’art comme conquête », sous la direction du Professeur Isabelle Poulin. Ses recherches au sein du laboratoire TELEM (EA4195) portent sur le chant, la traduction, les relations littéraires et transesthétiques entre les espaces européens et latino-américains.