Poétique et genre
ARTICLE
Dans un texte qui a fait date en France [1] Étiemble proclamait qu'il était indispensable de "repartir de zéro" pour théoriser le problème de l'épopée, enfermé jusque-là dans le cadre trop étroit de la tradition occidentale. Le présent article voudrait montrer que la communauté des chercheurs s'y est attelée, et que la vitalité des études sur l'épopée depuis 1990 est en train de permettre de sortir de l'impasse décrite par Étiemble. On s'intéressera ici d'abord à cette démonstration d'Étiemble mais ensuite et surtout à trois façons dont ce problème a été dépassé. Ce faisant, on espère décrire aussi trois directions de travail fructueuses pour l'avenir: il ne s'agit pas en effet de moments successifs de la recherche, mais de trois plans sur lesquels on peut se placer pour renouveler l'approche de l'épopée et, au-delà, peut-être, construire un discours neuf sur la littérature. Une quatrième partie, qui nous paraît très importante, et qui a d'ailleurs vocation à s'enrichir au fil du temps, fournit des liens vers des sites internet, classiques ou de travail [2] .
L'approche critique la plus répandue a consisté à interroger justement les frontières floues du genre. Il s'est agi le plus souvent de travaux de spécialistes du XIXe et du XXe siècles, aux prises avec la relation très ambiguë que ces siècles ont entretenue avec l'épopée - entre nostalgie, refus véhément et tentative de recréation. Toute une série de colloques et de thèses ont cherché non seulement à enrichir notre vision de la littérature des siècles modernes, mais à repenser le système des genres. Un deuxième courant réintègre l'épopée dans le champ de la littérature orale. Non plus tant pour décider si l'Iliade a été composée en recourant ou non à l'écriture que pour apprendre à lire ces textes à la lumière des attentes et évidences qui étaient celles des auditeurs. Il s'agit de reconstituer ce que John Foley appelle traditional referentiality: le sens que leur donne le "référent traditionnel". Une troisième approche, celle que j'ai explorée personnellement, consiste à procéder par induction à partir de quelques épopées canoniques, en analysant les textes en entier et dans le détail, tout en les replaçant précisément dans leur contexte historique. Cela permet de montrer que l'épopée peut jouer un rôle fondamental: inventer la nouveauté politique et par là permettre à une société de surmonter une crise majeure.
Introduction: Problèmes de définition
"Repartir de zéro": dans les quelques colonnes de son article de 1974, Étiemble répète la formule deux fois [3] . C'est qu'il lui semble que l'étude du genre pâtit de façon exemplaire de l'ethnocentrisme des penseurs occidentaux. Étiemble peut facilement - et cruellement - montrer que les théories sur le genre, comme les réactions épidermiques à l'épopée [4] , sont totalement tributaires de la tradition européenne. Et que cent textes épiques étrangers infirment les caractérisations classiques - de la définition comme "narration en vers" à l'idée de "primitivisme" ou à celle que la fonction du genre serait de "célébrer en un siècle de décadence la force et le prestige usés de la communauté". Rien de tout cela ne tient si l'on veut bien ouvrir la réflexion à l'ensemble des textes épiques, réintégrer toutes les littératures dans le champ de l'analyse littéraire. Du coup, en effet, il faut reprendre le problème de l'épopée sur d'autres bases.
Dans cette introduction, on prendra le temps de regarder d'un peu près la dynamique lancée pour les chercheurs français par Étiemble. D'abord pour en reconnaître l'efficacité: plus personne aujourd'hui n'imaginerait parler de l'épopée en se limitant à l'Iliade et à l'Énéide. L'ouverture radicale est un acquis, dont la portée est très grande. Mais il faudra ensuite voir que cette rupture a créé de nouveaux problèmes. En réintégrant l'ensemble des littératures dans le champ de la critique, Étiemble a poussé à la destruction d'une autre distinction, conceptuelle celle-là. Comme les critères classiques de définition ne fonctionnent pas sur les textes étrangers, on en est venu finalement à faire l'amalgame entre tous les textes qui rappellent de près ou de loin l'épopée. D'où un (autre) blocage de la réflexion théorique: aucun discours n'est tenable sur un objet aussi extraordinairement fuyant - l'un des plus fuyants du champ littéraire, en fait. C'est cette nouvelle difficulté que les trois approches présentées ensuite sont en train de dépasser.
Les acquis
Ce sont ceux du comparatisme. Là comme pour tous les sujets dont il s'est emparé, Étiemble a joué pour les Français un rôle essentiel en pulvérisant les frontières étroites d'une conception centrée sur l'Occident et parfois limitée à elle [5] . C'était certes aller dans le sens de l'histoire de la critique sur le genre, qui s'est toujours renouvelée par la prise en compte de textes extérieurs: Voltaire, dans son Essai sur la poésie épique, refusait déjà la définition du Père Le Bossu en invoquant Milton; l'apport essentiel de Parry et Lord aux études homériques était fondé sur l'exemple serbo-croate. Mais on a ici une rupture caractéristique d'Étiemble [6] , et qui va infiniment plus loin. En faisant remarquer que les théorisations disponibles ne prennent pas en compte un certain nombre de textes incontournables, il appelle explicitement à un nouveau travail : induction à partir de l'ensemble des textes, approche anthropologique globale [7] .
Radical, Étiemble n'était cependant pas isolé, et c'est peut-être là le plus intéressant. Dès 1960, Albert Lord avait souligné l'étendue du concept de "epic" et la non-validité des critères habituels [8] . Et Gregory Nagy, par exemple dans un article de 1999 où il cite Martin (1989) et Jensen (1980), souligne de nouveau fortement l'ambiguïté du terme, et notre dépendance par rapport à un modèle épique grec qu'il faut "replacer dans son contexte historique" [9] . Sa conclusion est, de même, que nous avons besoin "d'une conception de l'épique qui prenne en compte la perspective comparatiste" [10] .
Dès 1986, Daniel Madelénat intégrait les exigences d'Étiemble pour sa présentation de l'épopée dans un livre qui fait toujours autorité. Son Épopée [11] prend en compte la diversité des traditions. Les références très nombreuses aux littératures lointaines servent à mettre en perspective le discours général, et les invariants sont bien recherchés dans le cadre de la littérature mondiale [12] . De même, en 1988, pour poser à son tour, de façon remarquable, la problématique de l'épopée, Jean-Marcel Paquette pensait le genre en termes globaux - alors même qu'il s'agissait de mettre en perspective les travaux centrés sur l'Europe de la Typologie des sources du moyen age occidental [13] .
Depuis, la réhabilitation de points de vue radicalement extérieurs a même permis d'inverser la perspective, pour se centrer cette fois sur le dehors: Jean Derive, s'appuyant sur Étiemble, peut envisager du coup de construire une réflexion sur le genre où le rôle essentiel est joué par l'analyse de textes africains [14] . C'est que, désormais, l'apport d'une réflexion centrée sur des traditions non occidentales est aussi bienvenue que celle sur les épopées occidentales savantes, par exemple.
Nombreux sont les signes que cette ouverture entre dans les habitudes de pensée. Alors même que son objet est l'épopée européenne, Judith Labarthe pense sa présentation en termes de "modèles" différents et autonomes [15] ; un grand colloque généraliste sur l'épopée a eu lieu à Dakar en 2000 [16] ; tel programme de présentation de l'épopée à des étudiants de Master spécialistes de l'Orient balaie tout le champ des civilisations [17] ; les médiévistes français ont un séminaire "épique" qui cherche à la fois à construire la notion à partir de la tradition de la chanson de geste et à se nourrir des épopées étrangères [18] . Et même dans un pays comme le Japon, où les études médiévales sont traditionnellement centrées exclusivement sur la tradition nationale, beaucoup de chercheurs dialoguent désormais avec l'étranger [19] . Le refus de considérer les textes guerriers nationaux comme des épopées, quand il persiste, n'a rien à voir avec l'ignorance des traditions étrangères [20] .
Nouveaux problèmes
C'était évidemment indispensable. Mais on n'a peut-être pas tout à fait suffisamment souligné l'effet dévastateur d'une telle ouverture sur la perception de l'épopée comme genre.
Le premier résultat, en effet, c'est l'impossibilité pratique de définir une épopée. Étiemble n'aurait certainement pas renié ce résultat: repartir à zéro, cela veut bien dire faire table rase des élaborations théoriques, fussent-elles celles de Hegel et de Nietzsche [21] . Il est logique de se retrouver sans théorie pendant le temps de l'élaboration de nouvelles approches. Mais l'objet particulier que constitue l'épopée a rendu la tâche particulièrement difficile, et l'entreprise périlleuse: pas d'objet plus important, mais aussi pas d'objet plus fuyant que l'épopée. Du coup, le jeu de massacre jubilatoire auquel Étiemble se livre sur bien des sujets au cours de sa carrière est particulièrement vertigineux sur celui-ci. Il semble en effet que les textes épiques dans le monde et au cours de l'histoire puissent finalement n'avoir rien en commun, si ce n'est le sentiment que l'on aurait affaire à de l'épopée - sentiment fort vague, même s'il est partagé par le public et les critiques. Au bout du chemin, même les définitions pourtant les plus minimalistes de l'épopée sont fausses. Tous les critères auxquels on a eu recours historiquement sont démentis par un grand texte, et l'induction semble impossible. Quel autre genre se dérobe ainsi à ce point?
Le deuxième résultat, c'est la destruction de toute distinction conceptuelle entre les textes épiques eux-mêmes. L'entreprise d'Étiemble était en effet d'autant plus périlleuse que du même geste il détruisait les frontières du genre à l'intérieur de chaque culture. Le chercheur se retrouve non seulement face à une série d'épopées d'origine différente - corpus large mais fini, comme pourrait l'être celui des poèmes amoureux à forme fixe, par exemple -, mais à une multitude de textes de statuts divers. Pour le dire autrement, la particularité de l'épopée mène à un glissement du géographique au conceptuel. La remise en cause de catégories dont on montre l'origine étroitement culturelle (les définitions à partir de textes européens) débouche sur la destruction de toute distinction. Sera appelé "épopée" tout texte à thème héroïque, qu'il soit écrit ou oral, archaïque ou non, en vers ou en prose.
C'est que fait partie intégrante de la problématique de l'épopée, depuis toujours, ce que l'on peut appeler le "continuum" des formes: de l'épopée au sens le plus restreint (Iliade, Mahâbhârata) aux textes "épiques" pour lesquels l'adjectif a le sens le plus vague. Toutes les présentations insistent sur ce point [22] , que la définition de Littré illustre bien [23] . Dans chaque civilisation il existe une multitude de textes qui peuvent être dits "épiques". La tendance, une fois qu'on a refusé d'imposer arbitrairement le modèle homérique, sera de vouloir traiter tous ces textes épiques ensemble pour participer à l'élaboration de la nouvelle théorie de l'épopée. La difficulté théorique qui en découle, c'est qu'il est impossible de définir un objet qui se présente comme un continuum, dont les extrêmes sont vertigineusement éloignés - du texte fondateur (que l'on trouve dans presque toutes les aires linguistiques [24] ), à ce que chacun appelle volontiers "épopée" dans un sens trivial [25] . On va alors chercher le "dénominateur commun" [26] . Le risque - et même souvent le résultat - c'est de ne trouver que le "plus petit dénominateur commun" [27] . On se retrouve à ne viser finalement que la théorie des textes héroïques [28] .
Deux conséquences rendent ce continuum véritablement gênant.
D'une part, la recherche de ce dénominateur commun va mener à des études "généralisantes". On aura tendance à mettre en relief les traits qui semblent communs, alors que l'esprit même de la remise en cause d'Étiemble, c'est au contraire de prendre en compte la spécificité de chacune des épopées. Il y faut un comparatisme "spécifiant", attentif aux caractéristiques propres de chaque texte plus encore qu'aux traits communs. La recherche sur l'épopée en général ne peut se passer de l'étude approfondie des épopées envisagées pour elles-mêmes, dans leurs particularités. Dominique Boutet a bien montré qu'on ne gagnait rien à faire l'amalgame classique, dans le domaine français, entre "épopée" et "chansons de geste" [29] . Régis Boyer a passé sa carrière à lutter contre l'amalgame entre sagas et épopées.
D'autre part, et de façon encore plus dangereuse, on risque fort de réintroduire par la fenêtre ce que l'on a chassé par la porte: chacune des études sur les épopées particulières s'appuie en réalité sur des présupposés vagues sur ce qui fait l'"épique". On tiendra ainsi un texte pour épopée (et on cherchera à l'inclure dans la réflexion sur le genre) dès lors qu'il aura quelques-uns des traits qui ont été associés à l'épopée autrefois: style, thème, versification, récitation psalmodiée... C'est-à-dire que finalement on réintroduit tous les traits définitoires récusés par Étiemble. C'est logique: il est bien difficile de décrire un objet sans en avoir une représentation préalable, et pour le repérer comme "épique", il a bien fallu s'en remettre à des catégories préexistantes. Mais le danger est qu'en réalité on réintroduit ces traits sous la forme de présupposés qui ne sont jamais objectivés - alors que, dans la tradition, il s'agissait au moins de critères explicites et discutables. Voltaire pouvait rétorquer à l'abbé Bossu que ses critères ne fonctionnaient pas, parce qu'ils étaient explicités. Mais lorsqu'on décrit tel texte comme une épopée parce qu'il en a le style, on revient en arrière non seulement par rapport à Étiemble qui montrait que ce critère n'était pas pertinent, mais par rapport à l'époque où ce style était discuté comme tel, et mis en opposition avec d'autres. Lorsqu'il s'agit de style, ce n'est peut-être pas très grave. Mais l'on tiendra de même pour acquis la simplicité ou le conservatisme de l'épopée, ce qui me semble empêcher de voir son importance et le rôle qu'elle peut jouer.
On voit donc que la définition dénoncée par Étiemble était à la fois, paradoxalement, étroite et vague. Mais aussi qu'il ne suffisait pas de faire tomber les barrières géographiques pour reconstruire une théorie. Finalement, dans le continuum épopée-épique-héroïque, on se retrouve à privilégier indûment l'épique et l'héroïque. Comme si l'immense diversité des textes, soulignée par Étiemble, interdisait radicalement toute induction et, de façon générale, tout discours théorique. Pourtant, il n'est pas impossible d'avoir une prise sur cet objet si fuyant, mais si important. Trois directions de recherche ont été explorées avec succès, en trouvant chacune un point fixe différent pour faire avancer la théorie: l'un sur les marges, le deuxième dans le contexte, le troisième, au centre.
I. L'approche par les marges: épopée moderne et confins du genre
Le trait le plus frappant de la recherche sur l'épopée depuis dix ans, c'est en effet la concentration des travaux sur les "formes modernes de la poésie épique" [30] . "Déclin et confins" [31] de l'épopée sont au centre de l'attention, en France particulièrement [32] . La grande masse des travaux s'intéresse à la rémanence de l'épopée dans un monde moderne supposé hostile à ce genre littéraire, rémanence qui en retour éclaire l'épopée comme genre. Que ce soit parce que les formes encore vivantes de l'épopée (en Asie particulièrement) ont beaucoup à nous apprendre sur l'épique, ou parce qu'on cherche une différenciation avec les épopées traditionnelles. Cela n'empêche évidemment pas qu'aient été donnés ces dernières années toute une série de travaux sur des épopées particulières ou sur la tradition épique [33] . Ma présentation assurément ne prétend pas être exhaustive: il s'agit seulement ici de montrer la vitalité de la recherche et le renouvellement des thèmes et des résultats, en citant quelques exemples. Mais dans ce cadre, le trait caractéristique de ces dernières années me paraît être ce détour par la modernité, particulièrement intéressant en ce qu'il renvoie à un intérêt plus général pour les "marges" de l'épopée: des travaux ont aussi cherché à la définir par différenciation avec des genres proches, et par l'histoire de la critique. Un des grands objectifs a donc été de définir les "formes modernes" de l'épopée. On partait là d'un constat historique: depuis Hegel on considère que l'épopée appartient à un âge révolu; et pourtant au XIXe et même au XXe siècle on a vu ressurgir la source épique. Il était intéressant de s'interroger à la fois sur ce déclin - qui va parfois jusqu'au refus violent [34] - et sur les nouvelles formes. Pour reprendre les mots de la présentation du colloque d'Ottawa (mai 2009), "Il n'est pas sûr que l'épique n'ait pas trouvé un vecteur d'un tout autre ordre dans la densité polymorphe de la poésie moderne. Plus nombreux qu'on ne le croit sont les poètes qui, au XXe siècle, allièrent ces irréconciliables hégéliens que sont la poésie épique et la poésie lyrique".
Daniel Madelénat, en postface de l'un des livres qui s'y sont affrontés (Neiva, 2009a), synthétise bien la problématique [35] . Comme tous les chercheurs qui se sont intéressés au "quasi-oxymore" que représente l'affirmation d'une "modernité de l'épopée", il repart de l'"abîme" qui sépare notre monde moderne de l'"antique épopée qui rappelle des temps révolus" (p. 387). Pour constater aussitôt que bien des épopées ont été écrites depuis que le genre est "mort". On peut y voir des "débris" (Neiva), le résultat d'un "prurit" incontrôlé, et considérer que "le genre semble s'épuiser à survivre" (Madelénat, p. 381), mais toutes les époques, y compris la nôtre, ont vu des tentatives pour poursuivre la tradition. Comme le dit Pierre Brunel: "L'épopée peut être considérés comme une forme figée, ennuyeuse, académique. Mais il existe une permanence de l'épique" [36] .
Pourquoi continuer à se référer à un genre déclaré mort [37] ? La réponse - et le salut - sont dans le "continuum" dont on parlait en introduction, qui permet de récupérer le statut valorisé d'épopée en la renouvelant complètement. Ou, pour reprendre les mots de Madelénat: "Ce continuum (...) fait apparaître le découpage en genres codifiés comme arbitraire. L'essentialisme (qui sous-tendait les poétiques depuis Aristote) cède la place au nominalisme (...)". Non plus l'épopée dont il faudrait suivre les "règles", mais des épopées, des textes épiques dont on ne reprend que ce qui peut être utilisé pour répondre aux besoins d'aujourd'hui. En somme, l'épique relaie l'épopée, il est un "génotype latent", capable de "nourrir des phénotypes (textes) variés, mutants, magnétisés par la démesure et l'immensité d'un épos qui trouve ainsi de multiples relais et des “seconds souffles”" (Madelénat).
On le voit, ce qui était un danger pour la recherche est une chance pour l'écriture. Le continuum entre l'"épique" au sens le plus vague et l'"épopée" au sens strict, s'il empêche de définir l'épopée, permet d'en "recycle(r) en ensemble unitaire des éléments virtuellement contradictoires" (Madelénat).
D'où une typologie: en gros, deux modèles sont possibles. On pourra refaire une épopée aux apparences classiques en changeant le type de héros et d'actions (l'épopée "humanitaire" d'un Quinet [38] aussi bien que celle de l'homme nouveau [39] ). On pourra aussi transformer toutes les apparences pour mieux servir l'épique - retrouver le "souffle épique" sans l'étouffer dans le carcan d'une tradition qui ne correspond plus à rien. Pour Claude Millet, raisonnant sur Michelet: "il n'est d'épopée que sans machines épiques, et d'Histoire prodigieuse que sans miracles, et de légende sans légendes" [40] . Delphine Rumeau [41] elle, peut montrer chez Whitman, Neruda et Glissant la revendication de l'épopée dans le mouvement même où l'on récuse tous les traits tenus pour caractéristiques. Le poète américain est exemplaire: un "je" retentissant annonce l'entrée en scène de la modernité, de la masse anonyme et du prosaïsme. Et pourtant, l'œuvre revendique le statut d'épopée.
Par leur masse même, les travaux récents sont allés un peu plus loin que cette réflexion classique sur la sauvegarde de l'épique par le sacrifice de l'épopée. Il ne s'agit pas de se cantonner dans "le champ clos de la confrontation esthétique entre grandeur et décadence du genre" (Pierre Frantz [42] ) , mais bien de faire surgir un autre des "modèles" possibles de l'épopée. La lecture de cette impressionnante série d'articles et de thèses finit en effet par former une sorte de mosaïque. Individuellement, ces travaux n'ont pas pour horizon l'épopée comme genre, mais se concentrent sur tel ou tel texte particulier - à très peu d'exceptions près [43] . En revanche, les éditeurs des livres ou des colloques ont, eux, tout à fait conscience que le fait de les rassembler peut contribuer à jeter un éclairage nouveau sur le genre: on construit ainsi l'image d'un moment de l'épopée, moment paradoxal et souvent dédaigné, mais instructif [44] . Notons qu'ici il n'est plus pertinent de reprocher aux études particulières d'avoir rencontré l'écueil du "topos implicite" - de l'usage de définitions vagues - dont on parlait plus haut. Le grand avantage du détour par la modernité, c'est que ces définitions présupposées ne jouent pas pour la description de l'épique moderne. On s'appuie sur elles pour dire à quel point Quinet ou Neruda s'éloignent d'un modèle ancien (qui reste de l'ordre du présupposé), mais sur le vrai sujet - l'épopée moderne - on cherche au contraire les traits nouveaux, par l'analyse des textes eux-mêmes.
On s'y attendait, mais c'est pourtant passionnant: l'image qui surgit est celle d'une épopée aux antipodes de la conception classique du genre. On finit par nommer "épopée" des textes qui n'ont rien à voir avec ce que les théories anciennes (fustigées par Étiemble) nous décrivaient. L'épopée moderne est une épopée conflictuelle, attentive aux "petits" au point de se transformer parfois en "petite épopée" [45] , aux vaincus au point de se laisser envahir par les pleurs [46] . Omeros, de Derek Walcott, se présente comme dialogique - alors que pour Bakhtine c'est le trait caractéristique du roman, antithétique de l'épopée [47] . Idem, l'épopée moderne se veut, certes, "œuvre-monde" (Moretti), mais la totalité est à construire, à partir d'une réalité fragmentée; l'épopée pour ce faire se rapproche du drame (au lieu de s'en distinguer), et s'intériorise [48] . Plus remarquable encore, contre le roman, c'est elle qui réhabilite les colonisés dans le roman créole du XIXe siècle: derrière la conception dominante, elle réintroduit le discours que le colonisateur cherchait à étouffer sous la masse du roman "éclairé" [49] . Il n'est pas jusqu'à l'idée de célébration qui ne soit battue en brèche. Lorsque Napoléon commande pour le glorifier des opéras qui décalquent l'épopée antique, l'entreprise échoue: le public refuse ces épopées pourtant parfaitement reprises des modèles admirés, et acclame au contraire des œuvres où la dimension politique est bien plus subtile [50] . On ne peut plus faire l'équation "épopée = célébration".
On peut y voir un effet de la réécriture par la modernité: la "patte" du XIXe ou du XXe siècle, qui refuseraient justement l'"épopée" au profit de l'"épique". Et c'est bien ainsi que les chercheurs l'ont envisagé en général. Mais les choses ne sont peut-être pas si simples: Thomas Greene commence par l'Iliade quand il veut montrer l'importance cruciale des pleurs, et c'est sur des épopées anciennes que Woronoff, retrouvant ce qui était déjà la position de Simone Weil, montre la place privilégiée donnée aux vaincus [51] . Notons au passage - si on me permet d'anticiper sur la présentation de ma IIIe partie - que finalement on rejoint en profondeur ce que l'analyse inductive peut faire surgir dans des épopées canoniques, une fois que, repartant sur de nouvelles bases (Étiemble), on les a "replacées dans leur contexte historique" (Nagy). C'est peut-être bien la théorie ancienne qui était fautive - comme l'avait bien vu Étiemble -, et l'épopée pourrait bien être une et cohérente au long de son histoire, instrument pour penser le conflit en profondeur et donner voix à tous, vaincus et vainqueurs. En tout cas, c'est ce qu'elle est à l'époque moderne, les travaux récents le montrent.
Il ne faudrait pas quitter cette esquisse des études récentes sur les "marges" sans indiquer deux groupes de travaux moins nombreux mais tout aussi intéressants et qui représentent des perspectives de recherche très riches.
Les marges, ce sont aussi les œuvres dont le statut générique est peu clair. Les travaux procèdent là par différentiation avec d'autres genres. Ce courant de la recherche a à l'évidence pour lui toute la tradition, d'Aristote - et sa distinction avec l'histoire et la tragédie - à Hugo et sa distinction entre lyrique, épique et dramatique [52] . Différencier l'épopée des autres genres a cependant été fait le plus souvent... dans l'autre sens: au bénéfice d'un autre genre, dont les contours ont été précisés par la confrontation avec l'épopée. Lukács dans sa Théorie du roman [53] se sert en réalité de l'épopée comme d'un repoussoir pour définir le roman moderne. Dominique Boutet, lui, s'en est servi comme repoussoir pour définir l'apport du roman arthurien [54] .
Le mouvement peut être inversé, et la différenciation est alors un moment essentiel de la critique sur le genre. Elle est un moyen de briser le "continuum" entre formes épiques vagues et épopées, et donc un gage que l'on pourra à l'avenir raisonner avec plus de sûreté. Évidemment la démarche n'est pas toujours possible, mais quand elle l'est, elle est "particulièrement fructueuse" (Pierre Frantz [55] . Ainsi, réfléchissant sur le Roman des Trois Royaumes chinois [56] , Philippe Postel arrive-t-il à la conclusion qu'on a bien affaire là à un roman et non à une épopée; au passage, comme on pouvait s'y attendre dans un cadre proprement générique, l'auteur donne toute une série d'éléments de réflexions intéressants du point de vue méthodologique. Un article de Ricardo Picchio montre bien l'efficacité de ce type d'approche [57] . En le confrontant avec d'autres genres, Picchio peut soutenir la thèse que le Dit d'Igor est un exemplum [58] . L'enjeu est évidemment bien plus grand que de changer l'étiquette caractérisant un texte. Quiconque voulait raisonner par induction sur les épopées était gêné par ce texte si éloigné des grandes épopées du reste du monde.
Enfin, participant à la création de cette mosaïque éclairante, il faut remarquer la vitalité des études de l'histoire de la critique sur l'épopée. Le livre de Jean-Marie Roulin puis la thèse de Dimitri Garncarzyk [59] 59 articulent théories et pratiques de l'épopée au XVIIIe siècle. Ils permettent d'éclairer non seulement la conception des auteurs mais aussi le système des genres et la pensée qui la sous-tend. Les études les plus nombreuses, cependant, là encore, portent sur les théories du XIXe siècle [60] . Se poser le problème du déclin, c'était peut-être d'abord, en effet, comprendre les pensées qui l'annonçaient. En précisant la conception de l'épopée du XVIIIe au XXe siècle, ces études permettent de comprendre quel était l'horizon par rapport auquel s'élaborent les textes épiques modernes: elles en disent peut-être plus encore sur l'époque qui les a vu naître que sur l'épopée elle-même. Mais aussi, en soulignant des traits distincts de ceux que nous ont légués aussi bien les théories de l'Antiquité que les recherches par lesquelles nous avons été formées (d'Aristote à Lukács en passant par Hegel), elles complètent le tableau.
II. L'approche par le contexte: oralité, auralité, la "traditional referentiality"
John Foley donne un très bel exemple de la possibilité d'enrichir par l'étude précise du contexte le discours sur l'épopée comme genre - comme ont pu le faire Chadwick ou Dumézil. A la différence de ce que l'on vient de voir, Foley ne s'adresse pas aux marges, mais bien à des textes unanimement reconnus comme épopées: essentiellement le corpus serbo-croate confronté avec l'épopée homérique (auxquels il ajoute les textes épiques en Vieil Anglais). L'horizon de sa démarche, c'est de replacer les épopées dans le contexte du fonctionnement spécifique de l'oralité, qu'il montre fondé sur la "traditional referentiality", le "référent traditionnel". Évidemment, Foley n'est qu'un des maillons dans une suite de recherches sur l'oralité depuis Parry et Lord - dans la lignée de qui il se place très précisément [61] . Mais il est particulièrement intéressant pour nous en ce qu'il le fait à la fois de façon très synthétique et très concrète (dans Immanent Art, Homer's Traditional Art ou How to Read an Oral Poem [62] ).
L'idée-force de Foley est que l'oralité a des conséquences aussi importantes pour la réception de l'œuvre que pour sa composition. Pour le dire en termes plus savants, qu'un texte "oral" (composé à travers la récitation), est aussi et peut-être avant tout un texte "aural": reçu par l'oreille [63] . Une épopée fait appel à l'auditeur, qui partage avec le récitant un savoir. De l'existence de ce savoir commun dépend la possibilité même de la communication artistique [64] . Au-delà de l'éclairage des textes précis, le but est de montrer qu' il y a un fonctionnement particulier dans ces épopées, qui renvoie à la réception dans le cadre de l'oralité - qui renvoie donc à l'auralité.
Foley montre ce référent traditionnel comme un véritable langage, que récitant et public manient tous deux avec aisance. Écouter une épopée, c'est d'abord entrer dans ce langage, en rupture avec le langage quotidien. Puis, à chaque instant, être capable de donner aux "mots" leur sens plein: c'est-à-dire justement de les reconnaître non pas comme "mots" ou épisodes de la langue ou de l'expérience courante, mais comme éléments d'un "registre" particulier. L'essentiel est que ce "registre" convoque l'ensemble de la tradition orale, et, dans le cas qui nous occupe, toutes les autres épopées. La récitation peut être - et est - toujours partielle, elle se gonfle pourtant de toutes les autres occurrences. Pas de somme ici, pas d'"œuvre complète", et pourtant chaque récitation est un moyen d'accéder à l'ensemble, et suppose cet ensemble.
Cela fonctionne finalement comme un type particulier de connotations: le "référent traditionnel", c'est le sens qu'il faut saisir "derrière les lignes" ou "entre les lignes" - qui vient enrichir la récitation. Suivant les traditions, l'accent sera mis sur le personnage ou sur la structure. Dans les textes épiques serbo-croates chrétiens, un personnage tel que "Marko" cristallise l'attention. C'est autour de lui que s'organisent les "connotations", ce sont ses autres aventures qui viennent enrichir et mettre en perspective le récit actuel. Dans les textes de tradition islamique, ce seront plutôt des sous-genres qui seront chargés d'installer le public dans l'univers épique, de lui faire attendre un déroulement, particulier, reconnaître les éléments obligés d'un scénario qui peut changer en surface (c'est l'actualisation du modèle, avec ses variations), mais qui repose fortement sur un horizon d'attente précis: le plaisir est de se faire raconter une "histoire de retour" (un nostos), d'entendre une lamentation [65] .
Les auditeurs pourront alors à bon droit s'étonner que l'étranger ne connaisse pas un détail qui pourtant n'a pas été fourni par le texte. C'est que l'histoire est un morceau, une partie qui renvoie au tout, et qui s'enrichit de lui: ensemble des récitations (des versions) du texte, ensemble des histoires racontées au sujet du personnage, ensemble des "chants du retour". Finalement, la tradition transmet non seulement des formules, des scènes-types et des sous-genres, mais le Tout des récits. Chaque élément agit de façon métonymique - renvoie à l'ensemble.
Foley dépasse ainsi radicalement les limitations de l'approche "littéraire" des épopées. Ainsi de la condamnation de l'interpolation. Les érudits qui rejetaient tels vers ou tels passages le faisaient au nom des conceptions littéraires fondées sur le texte fixé d'un auteur précis. L'interpolation, loin d'être un défaut ou un problème, est en réalité le fonctionnement normal de cet univers de récits. Chacun est constamment invité à apporter à cette récitation l'eau de tous les récits déjà entendus. C'est la marque portée, dans le texte écrit, du fonctionnement oral.
Il dépasse aussi le problème essentiel que posaient les découvertes de Parry [66] . La composition orale telle que la décrivait Parry a semblé "mécanique" et on lui a reproché de ne faire aucune place à l'art du poète. Après avoir décrit précisément le fonctionnement que ce langage commun aux deux parties rend possible, Foley propose d'y voir non pas un mécanisme mais une interaction vivante. Les formules ne sont pas les "briques" que l'on a parfois décrites - les éléments préfabriqués qui aideraient le récitant à composer - mais les éléments de cet art "immanent": la beauté dépend en partie de l'excellence de tel ou tel récitant; mais elle est d'abord dans le processus lui-même. L'art n'est pas fabrication d'un artefact précieux par un artiste d'exception, mais la capacité, commune à tous les récitants, de faire entrer l'auditoire dans un monde autre. L'art c'est de construire cet univers complet. La mécanique n'est qu'un moyen, ou plus précisément un langage. Homère s'appuie sur le formulaire (entendu au sens large: formules, scènes-types, genres) parce que c'est un medium, qui garantit une participation du public fructueuse. Pour autant, l'usage qui en est fait peut être aussi bien en contradiction avec les habitudes qu'en accord avec elles (et l'art d'un artiste d'exception n'est pas absent). Le premier exemple que Foley donne dans Homer's Traditional Art, c'est la rencontre entre Hector et Andromaque (Iliade,VI), décrite comme appartenant au sous-genre de la "Lamentation". On analyse souvent cette scène en termes de rapports entre les sexes [67] . Mais superposée à cette interprétation, encouragée par le fait qu'Hector pense à ce qu'on dira après sa mort, il y a une lecture "en termes de" (suivant le "sous-genre" de) la lamentation. Qu'on ait là une scène-type est attesté par la multiplicité des occurrences de telles "lamentations" dans le corpus homérique; sa force particulière, c'est ici de s'adresser à un homme encore vivant. Les auditeurs ont l'habitude des scènes de lamentation: ils en reconnaissent les traits parce que cela fait partie du "registre" épique. D'autre part et peut-être surtout ici, le "choc" pour les auditeurs c'est qu'Andromaque entonne la lamentation, fait cette scène particulière, en présence du "mort". C'est l'écart qui est ici porteur de sens, autant et plus que l'utilisation habituelle.
L'acquis pour l'étude de l'épopée est grand. Lorsqu'il décrit l'Odyssée comme un "Chant du Retour", Foley donne les moyens d'y lire de façon tout à fait naturelle une série de traits que l'érudition a eu bien du mal à y retrouver. La littérature grecque ne nous a conservé qu'un seul nostos, mais le sous-genre est bien attesté dans la littérature serbo-croate. Ses traits classiques sont très éclairants pour l'Odyssée. Ainsi du déroulement de la narration, qui gênait tant Victor Bérard: l'Odyssée suit en tout point le déroulement du "Chant de retour". Début par la plainte du héros retenu prisonnier loin de chez lui, évocation des dommages terribles que son absence a produits, mise en place d'un stratagème pour échapper... les différentes étapes font partie de ce que l'auditoire attend; ils sont la norme. C'est le déroulement chronologique linéaire qui ne serait pas acceptable. Un autre trait caractéristique (attendu de tous), c'est l'ambiguïté du personnage féminin. Le genre veut que la vjerna ljuba "l'aimée parfaite" puisse être aussi bien traîtrise que pure fidélité, et l'ambiguïté se maintient jusqu'à la fin, jusqu'à l'épreuve que le héros lui fera subir. On voit qu'on retrouve là l'indeterminacy que Marylin Katz a pu remettre au jour de son côté. La présence constante en filigrane du "paradigme de Clytemnestre" maintient une tension qui organise le texte en profondeur. Katz l'a montré avec les moyens de l'analyse critique occidentale; mais c'était de sa part une sorte de tour de force - qui a suscité bien des réticences lors de la publication de Penelope's Renown [68] . Ses analyses reçoivent là une confirmation extérieure: pour le public serbo-croate, le sous-genre l'implique.
L'intérêt pour l'étude générique tient aussi bien sûr à ce que les travaux de Foley sont une continuation et une précision très concrètes de ceux de Parry et Lord: Homer's Traditional Art [69] trace les limites précises du parallèle qui peut être fait entre les textes homériques et les épopées serbo-croates (ce qui semble n'avoir jamais été fait auparavant). Un exemple: oui, il y a bien "formules" dans les deux cas, mais l'un des résultats essentiels qui s'en dégageaient pour l'épopée grecque (l'idée d'"économie" de moyens - "thrift"), ne peut être généralisée, n'est pas un trait générique. Parry considérait qu'il n'existait qu'une seule formule pour chaque "situation" métrique. Achille serait "au pied léger", ou "nourrisson de Zeus" en fonction de la position que le groupe de mots est appelé à tenir dans le vers [70] . En serbo-croate, le système métrique est beaucoup plus simple: le vers n'a que deux parties distinctes, 4 et 6 syllabes. Les caractérisations des héros sont toutes, de façon indifférenciée, dans la partie la plus longue, elles sont donc nombreuses et interchangeables. C'est là un acquis "négatif" pour nous: on ne pourra pas définir l'épopée comme genre à partir de cette "économie" de moyens. Au-delà, l'intérêt est de nouveau dans la démonstration que la formule n'est jamais "mécaniquement" utilisée, metris causa - pour les besoins mécaniques de la versification -, mais bien artis causa, pour la création d'un art, oral.
Au fond, ce que Foley apporte de spécifiquement générique, c'est l'équivalent de Propp sur le conte. Une "morphologie" qui définit à la fois le vocabulaire et la façon dont il est mobilisé. Il remet en perspective, à la fois au plan très large de la littérature orale - le fonctionnement de l'épopée s'explique par celui de la littérature orale en général -, et au plan très précis des sous-genres, pour lesquels son corpus fournissait une masse comparative. C'est essentiel pour la théorie de l'épopée. Les traits soulignés historiquement par la critique (répétitions, parataxe, simplicité, absence de surprise) ne sont pas des signes d'archaïsme. Ils sont les moyens d'un autre fonctionnement de la littérature. Là, pas de texte achevé, on le sait, ni de "version" supérieure aux autres. Mais il faut aller plus loin: la répétition est nécessaire, parce que c'est elle qui permet la métonymie. Or tout élément vaut par ce à quoi il renvoie, son "référent traditionnel" (traditional referentiality). La formule fait surgir le personnage, tout armé de ses aventures dans tous les autres récits.
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Notes
- [1]
Article « Épopée », Encyclopædia Universalis (dans ses deux premières éditions, 1974 et 1992), repris dans Essais pour une littérature (vraiment) générale, sous le titre « L’épopée de l’épopée », Gallimard, 1974.
- [2]
Une mise à jour de la bibliographie et sitographie de cette IVe partie est en ligne sur le site du Projet Épopée: http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/programmes/projet-epopee.
- [3]
A la fin de chacune de ses sections: « Problématique de l’épopée » et « L’épopée a-t-elle un avenir? » – ce qui en fait les derniers mots de l’article: « Oui, décidément, il faut repartir de zéro ».
- [4]
Étiemble cite Valéry à Gide: « Connais-tu rien de plus embêtant que l’Iliade? » (Gide, Journal, 25.10.1938).
- [5]
Il ne s’agit évidemment pas d' »accuser » Aristote ou Voltaire. Ce qui a changé, c’est l’horizon du critique: l’abbé Batteux ou Aristote ont pour horizon la composition de nouvelles épopées; Étiemble et nous, leur compréhension, passive. Nous cherchons à les lire mieux, à comprendre leur fonctionnement, leur rapport avec les autres genres, ce qui en fait de la littérature et ce que fait la littérature à travers eux. Tant qu’il s’agissait de donner aux écrivains des préceptes pour écrire une nouvelle épopée, les références internes à la tradition occidentale étaient appropriées: au moment d’écrire la Henriade, l’étude de l’épopée de Sounjata ne s’impose pas. (Sur la vitalité fructueuse de la théorie au XVIIIe siècle, voir Jean-Marie Roulin, L’Épopée de Voltaire à Chateaubriand: poésie, histoire et politique, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC 2005:03 (2005), et la thèse de Dimitri Garncarzyk: Théories et pratiques de la poésie épique en Europe de Boileau à Ignacy Krasicki, Université Paris III, 2018).
- [6]
On se souvient de son irritation à constater que si peu d’étudiants et de chercheurs maîtrisaient les langues finno-ougriennes, dont l’exclusion du champ de la réflexion lui paraissait un scandale. On lui doit donc l’inlassable affirmation que la réflexion littéraire se doit d’inclure toutes les zones géographiques pour construire une discipline: la « littérature (vraiment) générale » (C’est le titre du livre où il a repris l’article sur l’épopée).
- [7]
Comme première réponse au problème qu’il signale, il décrit les résultats qui venaient d’être obtenus (1968-1973) par Dumézil dans son Mythe et Epopée, puis il cède la place à un autre critique (Yoshida) pour une deuxième section de l’article qui envisage diverses approches globales, trifonctionnalité, existence d’une caste clérico-guerrière (Chadwick), idée de la justice qui serait commune.
- [8]
Albert Lord, cité par Nagy « Epic as Genre », Epic traditions… p. 23.
- [9]
G. Nagy: « the classical Greek idea of epic, as presupposed by these received notions, needs to be situated in its own historical context« , op. cit, p. 24.; M. Skafte Jensen, The Homeric Question and the Oral-Formulaic Theory, Opuscula Graeco-Latina, Copenhagen, Tusculanum Press, 1980; R. P. Martin, The Language of Heroes: Speech and Performance in the Iliad,Ithaca, N.Y., Cornell University Press,1989.
- [10]
Op. cit, p. 24. Voir aussi Muriel Détrie, « Le comparatisme occidental / extrême-oriental en France: bilan et perspectives méthodologiques » Sylvie Ballestra-Puech et Jean-Marc Moura (dir.) Le Comparatisme aujourd’hui, Lille, 1996, et « Littératures (extrême)-orientales et théorie littéraire dans le comparatisme français » Pascale Dethurens et Olivier-Henri Bonnerot (dir.), Fin d’un millénaire: Rayonnement de la littérature comparée, Strasbourg, 2000.
- [11]
PUF, « Littératures modernes », 1986.
- [12]
De même, Paul Zumthor, dans le chapitre qu’il consacre au genre dans Introduction à la poésie orale, Seuil, 1983.
- [13]
Typologie des sources du Moyen Age occidental. fascicule 49, L’épopée, Introduction, Turnhout, Brepols, 1988, p. 25-42.
- [14]
L’Épopée, Jean Derive (dir.), éditions Karthala, 2002. La fin de son Introduction se réclame explicitement d’Étiemble.
- [15]
L’Épopée, Armand Colin, « Collection U », 2006.
- [16]
« Épopées médiévales d’Europe – Épopées d’Afrique de l’Ouest », 18-25 novembre 2000, Université de Dakar. Signalons aussi, en 2005, le colloque de Niamey (25-27 janvier 2005) « Épopées et identités : rois, peuples, guerriers, héros, divinités ». Le REARE, Réseau Euro-Africain de recherches sur les Épopées, créé à Dakar lors du colloque de 2000, se consacre à l’approfondissement de ces recherches transversales (reare.univ-rouen.fr).
- [17]
Paris III, UFR Orient et Monde arabe, 2008. Le séminaire a été publié: Feuillebois-Pierunik, Ève (éd.), Épopées Du Monde : Pour Un Panorama (Presque) Général, Paris, Garnier, 2011.
- [18]
GREp, Paris IV, Dominique Boutet, voir IVème partie.
- [19]
Voir l’entreprise de réflexion sur l’image du samouraï, pilotée par Pierre-François Souyri (Maison franco-japonaise puis Université de Genève) et M. Kojima (Musée national d’Histoire et d’Ethnologie, Tokyo), qui réunit depuis plusieurs années historiens et littéraires, francophones et japonais. De même, en 2008, l’Université d’Aichi-ken lançait la réflexion pour un programme pluri-annuel de recherche sur la guerre en n’invitant que des communications sur l’épopée à l’étranger.
- [20]
En revanche, il a sans doute beaucoup à voir avec le vague de la définition dont nous parlerons plus loin. Une telle approche est celle par exemple de Kusaka Tsutomu, Ikusamonogatari no sekai, Chûsei gunki bungaku wo yomu (Le monde du récit guerrier, lire la littérature épique du Moyen Age), Tokyo, Iwanami,2008. La réponse qu’on peut lui faire passe par la constitution d’un concept plus fort de l’épopée.
- [21]
On trouvera un large panorama de ces théories classiques dans Madelénat (1986), dans Labarthe (2006) et dans l’article « Épopée » (Lilyan Kesteloot) du DITL, Dictionnaire International des Termes Littéraires (voir IVème partie). Le livre de Jean-Marie Roulin, L’Épopée de Voltaire à Chateaubriand: poésie, histoire et politique (Voltaire Foundation, Oxford, SVEC 2005:03, 2005) donne pour sa part un tableau et une analyse complets des théories et discussions au XVIIIème siècle, et les remet en perspective avec les œuvres (voir ci-dessous Ière partie sub fine,, histoire de la critique).
- [22]
Voir Paul Zumthor, Introduction à la poésie orale, Seuil, 1983. Voir aussi Judith Labarthe (2006), qui achève son introduction sur cette notion de « continuum », Pierre Brunel (Mythopoétique des genres, PUF, 2003) ou Daniel Madelénat (in Neiva, 2009a).
- [23]
Littré, qui ne consacre pas plus d’un quart de colonne à l’entrée « Épopée », distingue un sens large: « Narration en vers d’actions grandes et héroïques » et un « sens plus restreint », pour la définition duquel il recourt immédiatement (et sans même en signaler le début) à une citation de Marmontel – élaborée à partir d’Aristote dans l’opposition à l’histoire, la tragédie, le poème didactique et les fastes.
- [24]
Voir Paquette, op. cit.
- [25]
Tous ceux qui ont cherché « épopée » dans des catalogues de bibliothèque (sans même parler de Google) le savent: les titres les plus classiques sont noyés dans la masse des « épopées » de Café du Commerce: de « l’épopée de la moto » à celle « du Canal de Meuse et Moselle », à celle du journal l’Humanité…
- [26]
Voir Derive: « Si on veut donc créer les conditions de l’établissement d’un genre épique largement interculturel, il convient assez logiquement d’en bâtir le modèle à partir du dénominateur commun de genres spécifiques culturellement disparates, mais présentant néanmoins suffisamment de traits de parenté pour justifier leur regroupement dans un ensemble conceptuel. » (op. cit., Introduction, p 7).
- [27]
Tous les commentateurs en sont conscients, et c’est l’origine de la modestie fondamentale de la plupart des études, reconnaissant le défi quasiment insurmontable que représente de définir le concept. Derive justement en est un bon exemple: « Il va de soi qu’il ne s’agit en l’occurrence que de directions de réflexion et qu’il n’est aucunement question d’apporter sur ces différents points des réponses tranchées (…). L’épopée, conçue comme un genre universel, reste encore un concept problématique et nous partageons le point de vue d’Étiemble (…) ».
- [28]
Ce risque a été souligné aussi par les chercheurs réunis au CELIS (Clermont II) autour de Saulo Neiva (voir l’introduction à Avataras de Epopeia, Massangana, 2009). Pour leur part , c’est bien délibérément pour l’éviter qu’ils ont exploré l’approche « par les marges » que je développe en Ière partie: « Méfions-nous (…) des fausses permanences, continuités et filiations, sous peine d’accroître « la confusion » qui règne dans le champ théorique des genres littéraires ».
- [29]
C’était d’ailleurs en s’intéressant à la chanson de geste, et pour dire sa supériorité sur la Chanson de Roland.
- [30]
[Depuis la publication du présent article, le Projet Épopée, hébergé par l’UMR 5316 Litt&Arts de l’Université Grenoble Alpes, a lancé une publication évolutive en ligne, le Recueil ouvert, qui consacre une section complète à cette approche du genre par ses « marges »: http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/]. Une caractéristique des travaux analysés ci-dessous dans l’article est l’idée d’un double renouvellement – des formes et de la critique -, telle qu’on la trouve dans le titre du livre dirigé par Judith Labarthe: Formes modernes de l’épique; nouvelles approches, Peter Lang, 2004. Toute une série de livres et de colloques ont été consacrés au sujet, sur la période ancienne comme sur la modernité. Par exemple: Nelson Charest et V.-C. Lambert (éd.) »Voix épiques et fortune de l’épopée québécoise », Colloque de l’Université francophone d’Ottawa, mai 2009; Didier Coste (éd.): « Récit émergent, récit renaissant: 1859-1939 » (Université Bordeaux III, , 24-26 janvier 2002); Klàra Csùrös, Variétés et vicissitudes du genre épique de Ronsard à Voltaire, Champion, 1999. Pierre Frantz, L’Épique, fins et confins, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2000; F. Gremer et J.-C. Ternaux (dir.) « L’épopée et ses modèles de la Renaissance aux Lumières » (Université de Reims, 16-18 mai 2001); Françoise Létoublon et Catherine Volpilhac-Auger (éd.), Homère en France après la Querelle (1715-1900), Champion , 1999; Saulo Neiva (éd.), 2008: Déclins et confins de l’épopée au XIXème siècle, Tübingen, Gunter Narr, 2008; Saulo Neiva (éd.) 2009a: Désirs et débris d’épopée au XXème siècle, Peter Lang, 2009; Saulo Neiva, 2009b: Avatares da epopéia na poesia brasileira do final do século XX, Recife, Massangana (en portugais seulement pour l’instant).
- [31]
C’est le titre du premier des trois livres (2008) dirigés par Saulo Neiva sur le sujet.
- [32]
Au États-Unis, la traduction dès 1996 du grand livre de Franco Moretti, (Opere-Mondo, Saggi sulla forma epica dal Faust a Cent’anni di solitudine, Turin, Einaudi, 1994) a été importante, et l’on note beaucoup de travaux sur la modernité, ou qui mènent le propos jusque-là, comme Gregory Nagy, Poetry as Performance: Homer and Beyond, New York, Cambridge University Press, 1996; Margaret Beissinger, Jane Tylus and Susanne Wofford (eds.) Epic Traditions in the Contemporary World. The Poetics of Community, University of California Press, 1999, ou, un peu plus tôt, Steven M. Oberhelman and al. (eds.) Epic and Epoch Texas Tech University Press, 1994. Mais les travaux portent le plus souvent sur les épopées classiques. Ainsi, New Methods in the Research of Epic – Neue Methoden der Epenforschung, Hildegard L. C. Tristram (ed.), Tübingen, Narr, 1998, propose l’application de nouvelles méthodes (narratologique, psychanalytique…) à des textes canoniques ou à l’idée même d’épopée. On y trouvera beaucoup d’éléments très intéressants, mais je me concentre ici sur le renouvellement de l’approche du problème lui-même. Traitant des deux modalités, ancienne et moderne, Anazildo Vasconcelos da Silva, Formaçào épica da literatura brasiliera, Rio de Janeiro, Elo, 1984 (voir la présentation en français de ce livre dans le Recueil ouvert du Projet Épopée: http://ouvroir-litt-arts.univ-grenoble-alpes.fr/revues/projet-epopee/186).
- [33]
Par exemple l’imposant Companion to Ancient Epic, John Foley (ed.),Blackwell’s, 2005, ou Gisèle Mathieu-Castellani (dir.), Plaisir de l’épopée, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2000. Ou, un peu plus ancien, David Quint, Epic and Empire, Princeton University Press, 1993.
- [34]
Edgar Poe par exemple.
- [35]
« Présence paradoxale de l’épopée: hors d’âge et retour » in Neiva, Désirs et débris d’épopée...
- [36]
Pierre Brunel, Mythopoétique des genres, PUF, 2003, p.138.
- [37]
C’est la question posée par Klàra Csùrös à propos de la période classique: « Pourquoi cet acharnement à s’exprimer dans le genre héroïque qui, de toute évidence, ne réussit pas, alors que fleurissent les autres genres? » in Variétés et vicissitudes du genre épique de Ronsard à Voltaire, Champion, 1999.
- [38]
Thèse en cours de Bénédicte Elie (voir IVème partie). Voir aussi l’article d’Estrella de la Torre Gimenez, « Les Quatre Incarnations du Christ du romantique belge André Van Hassel, une épopée humanitaire », in Déclin et confins…
- [39]
Les grands romans du réalisme socialiste pour la critique soviétique (comme Le Don paisible de Sholokhov).
- [40]
Claude Millet, Le légendaire au XIXème siècle, PUF, 1997.
- [41]
Rumeau, Delphine, Chants du Nouveau Monde (Whitman, Neruda, Glissant), Paris, Garnier, 2009. Voir aussi l’article de Saulo Brandão et José W. L. Torres, « Leaves of Grass : épopée du Je, élégie du Nous », in Désirs et débris…
- [42]
L’Épique: fins et confins…
- [43]
Comme l’article d’Anazildo Vasconcelos da Silva « Le discours épique et l’épopée moderne » in Désirs et Débris…, qui est l’application d’une théorie complète de l’épopée aux Lusiades et à un poème de Pessoa. L’article de Nagy déjà cité, celui de Thomas Greene dans le même Epic Traditions in the Contemporary World (« The Natural Tears of Epic »: l’épopée à travers les âges créant une communauté de déplorants) ou celui de Christophe Imbert « Le héros pétrifié; pour une approche de l’épopée comme poétique de la fixité » dans Formes modernes... Ou encore la thèse en cours de Armand Erchadi (Paris IV), qui s’intéresse aux « manifestations intempestives de l’épique » autant qu’à des épopées plus attendues pour définir « L’épopée indo-européene, genre et valeur ».
- [44]
Ainsi les trois livres publiés par Saulo Neiva correspondent au désir de dégager une vision dynamique de la notion de tradition générique, en travaillant sur « des poètes en dialogue direct et renouvelé avec une tradition générique qu’ils invoquent, en citant un fonds commun de thèmes, motifs et contraintes formelles – une tradition qu’il s’approprient, récupèrent et réélaborent dans leur propre perspective. » in Introduction à Avatars de l’épopée, (Avatares da Epopéia, op. cit., traduction encore inédite).
- [45]
Voir par exemple l’article de Claude Millet « Les larmes de l’épopée, des Martyrs à la Légende des siècles » dans Déclin et confins… ou celui de Marie Blain-Pinel sur Hugo, « Pour une dynamique des genres au sein de l’épopée dans la Légende des siècles » dans Formes modernes…
- [46]
Thomas Greene, op. cit., Woronoff: « L’épopée des vaincus » in L’Épique, fins et confins…
- [47]
Voir Natascha Pesch « Bakhtinian Novelization, Postcolonial Theory and the Epic: Derek Walcott’s caribbean Epic Omeros » in New Methods/ Neue Methoden der Epenforschung, Tübingen, Narr, 1998.
- [48]
Voir Michel Riaudel, « Màrio Faustino et la “reconstruction épique” » in Désirs et Débris… et Jean-Christophe Valtat, « Épopées modernes, épopées mentales », in Déclin et confins… L’épopée, devenue « mentale », permet seule la recréation d’une synthèse. Elle est conquête pour « un sujet disharmonieux qui ne peut plus que se laisser traverser par (la) multiplicité (du monde) » (p. 160).
- [49]
Voir Chantal Maignan-Claverie: « Subjugation et résistance de l’épopée dans le roman créole » in Déclin et confins… L’épopée peut aussi être le ferment qui permet de travailler de l’intérieur la poésie de type mallarméen; dans la mesure où cela passe par un emploi ironique, cependant, la chose est plus attendue. Voir Bertrand Degott, « Le Récit en vers chez William Cliff et Réjean Ducharme » in L’Épique, fins et confins.
- [50]
Voir David Chaillou et Benjamin Pintiaux: « L’épopée napoléonienne dans l’opéra français. Permanence, anachronisme et déclin du modèle lulliste » in Déclin et confins… Grands succès pourtant pour les opéras qui jouent la carte du spectaculaire, à condition qu’ils ne soient pas porteurs du message politique évident que l’on associe à l’épopée.
- [51]
Simone Weil, « L’Iliade ou le poème de la Force » (1940-1941), Gallimard, Quarto, 2000, p. 527-552. Woronoff, op. cit.
- [52]
Thèse en cours de Kumi Mitsuyoshi (Paris-Est Marne-la-Vallée) sur le passage d’un genre à l’autre chez Chateaubriand, où les Mémoires d’Outre-tombe, envisagés comme l' »épopée de son temps », sont confrontés à d’autres genres chez Chateaubriand lui-même. Voir aussi le développement à ce sujet de Marie Blain-Pinel dans Formes modernes…. et celui de Pierre Laforgue, « Epopée et histoire chez Hugo » in L’Epique, Fins et confins…
- [53]
Théorie du roman, (1920), traduction: Denoël, 1968 – malgré cela considéré comme un texte essentiel sur l’épopée.
- [54]
Dans Charlemagne et Arthur. Comme dans son travail sur la chanson de geste, Boutet prend le contre-pied de la critique de l’époque pour qui rien ne pouvait être comparé à l’épopée et en particulier au Roland. Voir aussi le colloque qu’il a dirigé à Paris X: Le Romanesque dans l’épique. Actes du colloque du GREp, Paris X-Nanterre, 22-23 mars 2002, ainsi que Palimpsestes épiques : récritures et interférences génériques, Actes du colloque Récriture et adaptations de l’épique, (Dominique Boutet et Camille Esmein-Sarrazin, (dir.), 11-12 juin 2004, Université Paris-Sorbonne)
- [55]
L’Épique, fins et confins, Université de Franche-Comté, 2000, p. 5. Thèse de Laurent Alibert sur le merveilleux dans le roman de Jaufre (occitan) et les Narty kaddjytae (Légendes nartes des Ossètes), Montpellier III, 2011.
- [56]
« En Chine, une épopée introuvable? Le cas du Roman des trois royaumes » in Formes modernes… Sur le roman chinois et l’épopée voir aussi Vinclair, Pierre, De l’épopée et du roman: essai d’énergétique comparée, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
- [57]
« Matière épique et fonction narrative dans la tradition slave: le cas du Slovo d’Igor » in L’Épopée romane au Moyen Age et au Temps Modernes, Actes du XIVe Congrès de la Société Rencesvals, 2001. Voir cependant contra l’article de Victoire Feuillebois: « Le Dit de la campagne d’Igor : le mythe russe d’une épopée nationale » in Feuillebois-Pierunik, Ève (éd.), Épopées Du Monde : Pour Un Panorama (Presque) Général, Classiques Garnier, 2011.
- [58]
Mais aussi en le replaçant dans son contexte historique précis, et en s’aidant de l’analyse épigraphique (l’un des grands arguments pour faire du texte une épopée est le début, mal lu semble-t-il: il s’agirait non pas de « t »pêsni » – « ce chant, cette chanson », qui pourrait « signer » l’épopée, mais de « poivest’siju », « cette histoire ». Le texte serait un …slovo (discours) et non une épopée).
- [59]
Jean-Marie Roulin, L’Epopée de Voltaire à Chateaubriand: poésie, histoire et politique, Oxford, Voltaire Foundation, SVEC 2005:03 (2005). Dimitri Garncarzyk, Théories et pratiques de la poésie épique en Europe de Boileau à Ignacy Krasicki, thèse Paris III, 2018.
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Plusieurs articles dans Déclin et confins…: Michel Brix « La Voix du peuple: sur la réhabilitation de l’épopée à l’âge romantique »; Cédric Chauvin, « Théorie de l’épopée et philosophie de l’histoire: le “mythe de la mort de l’épopée” »; Joanna Augustyn, « L’épopée décapitée: Jules Janin critique des Romantiques »…
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Voir les références par exemple dans l’Introduction de Traditional Art. Replaçant l’épopée dans le cadre de l’oralité, voir aussi Isidore Okpewho The Oral Performance in Africa, Longman, 1990.
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Immanent Art, Indiana University Press,1991. Homer’s Traditional Art, Pennsylvania Université Press, 1999; How to Read an Oral Poem, accompagnant l’écoute d’une récitation épique complète, disponible sur le site de sa revue, Oral Tradition; Teaching Oral Traditions (Foley, ed.) est même un guide à l’usage des enseignants du secondaire. L’analyse concrète d’exemples multiples est une grande force de l’ensemble des livres, qui rend la présentation synthétique que je vais en faire un peu sèche.
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Oral vient du latin os, oris: « la bouche »; aural, de auris, l' »oreille ». On discute depuis toujours sur l’intervention ou non de l’écriture dans la composition des épopées. Mais leur auralité ne fait pas problème: les épopées ont toujours été entendues, par des publics immenses, récitées, sinon en tous temps et en tous lieux, en tout cas en des lieux et des temps essentiels (voir bien sûr Bédier, mais aussi, sur le Heike monogatari, H. E. Plutschow, Chaos and Cosmos: Ritual in Early and Medieval Japanese Literature, Leyde, Brill, 1990, ou, pour les épopées sibériennes, Roberte Hamayon, La chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie du chamanisme sibérien, Nanterre, Société d’ethnologie, 1990 et Jean-Luc Lambert, Lambert, Jean-Luc, Sortir de la nuit. Essai sur le chamanisme nganassane (Arctique sibérien), Paris : Centre d’études mongoles et sibériennes / Anda, 2003, https://journals.openedition.org/emscat/335).
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Immanent Art cite longuement Gombrich, Art and Illusion, London Phaiton Press, 1960, après Iser et Jauss. L’étranger est évidemment exclu de cette communication (et le Moderne dans le cas du corpus homérique), sauf à faire l’effort de reconstituer le référent traditionnel.
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Deux sous-genres dont Foley donne des analyses très précises.
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Dès Calhoun, réagissant à la thèse de Parry (1928).
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Voir par exemple l’article de Françoise Létoublon in Christian Nicolas (ed.), Hôs ephat’, dixerit quispiam, comme disait l’autre…, Université Grenoble III, collection « Recherches et Travaux », 2006.
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Penelope’s Renown, Princeton University Press, 1991.
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Parry et Lord ont été très discutés, mais rarement sur leur terrain de départ. Pour un bilan récent, voir Létoublon, Françoise (éd.): Hommage à Milman Parry: Le style formulaire de l’épopée homérique et la théorie de l’oralité poétique. Actes du Colloque International de Grenoble, 1993, Amsterdam, Gieben, 1997.
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Nombreux travaux sur la formule depuis. Par exemple, David Shive, Naming Achilles, Oxford University Press, 1987; voir aussi les nombreux éléments de bibliographie dans l’article de Françoise Létoublon, « Le récit homérique, de la formule à l’image », Europe, numéro spécial Homère, 2001, p. 20-47.
Pour citer cet article
Florence Goyet, "L'Épopée (première partie)", Bibliothèque comparatiste, n. 5, 2009, URL : https://sflgc.org/bibliotheque/goyet-florence-lepopee-premiere-partie/, page consultée le 30 Octobre 2024.