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Machines sympathiques
: 01/09/2018
: Université de Tours
: Grange Juliette, Humbert-Mougin Sylvie, Ullmo Anne
: anneullmo1@gmail.com
: Université de Tours
3, rue des Tanneurs
37000 Tours
Machines sympathiques

Colloque organisé par Juliette Grange, Sylvie Humbert-Mougin et Anne Ullmo

Université de Tours

(23- 25 octobre 2019)

 

Entre fascination et terreur, l'homme entretient avec la machine une relation ambiguë qui ne cesse de se complexifier à l'heure du numérique, alors que ces artefacts nous accompagnent inlassablement dans notre quotidien. Sorte de pharmakon, mi poison, mi remède, conçue pour suppléer aux tâches devenues in-humaines et redonner à l'humain sa liberté, elle s'avère contribuer, dans un même mouvement, à son aliénation. Si pour Aristote la machine est « ce qui nous aide à vaincre la nature dans notre propre intérêt », elle inquiète tout autant qu'elle éveille notre curiosité amusée.

Dans son Discours de la méthode déjà, Descartes rappelait la supériorité d'un Dieu, dont les "animaux-machines" surpassaient en précision les artefacts créés par l'homme. La conception mécaniste de Descartes sera reprise et affinée un siècle plus tard par Kant qui, dans La Critique de la faculté de juger (1790) fait porter sa réflexion, non plus sur l'animal comme machine mais sur l'écart ontologique entre l'homme et la machine; selon lui, le vivant se distingue par sa force, non plus seulement motrice, mais formatrice et organisatrice qui implique la capacité d'adaptation, de reproduction et  d'autorégulation.

Avec la révolution industrielle, la force physique, l’habileté artisanale ou la transformation mécanique des objets ne sont plus requises. Non seulement le travail est collectif mais la fabrique ou l’usine sont une unique organisation, et la source unique d’énergie centrale, généralement un minerai (charbon, coke). Avec la machine, on dépasse le mécanisme qui est une transformation de la force; la figure centrale est la puissance motrice du feu et la science de référence, la thermodynamique. Les machines se combinent entre elles jusqu'à former un grand automate dont l’homme est le créateur, le surveillant, le régulateur (Marx, Misère de la philosophie). Au XIXe siècle, la machine prend en effet une autre dimension: dans un premier temps par exemple, le métier à tisser a l’apparence ou la nature de l’ancien outil (le métier mû par l’homme); mais le métier à tricoter des bas, déjà, n'a plus grand chose à voir avec son prédécesseur, les milliers d’aiguilles qui le constituent l'éloignant de son modèle manuel. (G. Anders et Ch. Babbage, On the Economy of Machinery and Manufactures, 1832).

On ne compte plus les marques d'enthousiasme des contemporains à l'égard d'une révolution qui suscite une forme de religiosité rationnelle (Cabet); ainsi, l’usine, qui apparaît comme une « machine de l’humanité » (Leroux) « remplace la fée » (Robert Owen). L’utopie socialiste à son début propose une machine générale mise au service du travailleur collectif  et de la société, la machine-usine étant la source de changements sociaux (R. Owen, New Lamark, P. Leroux, De l’Humanité, 1840, Cabet, Voyage en Icarie, 1840, Fourier, Le Nouveau Monde, etc.). Cette conception de la machine phase avec l’idée d’organisation biologique et de vie des machines à vapeur (Les Travailleurs de la mer, La Bête humaine, Les Voyages extraordinaires). Les machines auto-réplicantes ou disposant d’une conscience émergente susceptible d’intentionnalité sont un objet de réflexion philosophique depuis la Machine de Turing.

Au tournant du XIXe-XXe siècle, fascination et vénération culminent avec la célébration moderniste de la machine dans les arts visuels et en littérature (Futurisme de Marinetti, Apollinaire, la « fée électricité » de Raoul Dufy), la machine accédant au statut d’œuvre d’art ; que l'on se souvienne de l'américain Henry Adams parcourant, émerveillé, les salles de l'exposition universelle de 1900 à la découverte de la dynamo qui devient pour lui le symbole d'une force morale qu'il identifie à la Croix des Chrétiens; Freud transposera ce « fiat » sur l'humain lui-même, devenu, selon lui, une sorte de « dieu prothétique, vraiment grandiose quand il revêt tous ses organes adjuvants » (Le Malaise dans la civilisation). L'objet technique, que d'aucuns identifient à une prothèse (Leroi-Gourhan), permettrait de prolonger le corps humain et de le projeter hors de lui-même rendant ainsi possible une forme d'ubiquité (électricité, radio, photographie, téléphone, cinéma) qui abolit le temps et l'espace dans la puissance de l'événement.

Si la science fiction s'est emparée de la crainte d'une autonomisation de la machine, sorte d'eidolon, de Golem qu'aucun Dr. Frankenstein ne pourrait arrêter dans sa course vers l'émancipation,  la figure de l'automate humanoïde s'inscrit également dans une économie du rêve et de l'imaginaire. A mi-chemin entre « l'empirisme le plus complet et le plus débridé et [de] l'abstraction la plus haute, philosophique et scientifique » (Beaune), il relève du fantasme que « ça marche tout seul ».  Mieux encore, l'automate, le robot et, dans sa version contemporaine, le cyborg, peuvent, dans leur imitation maladroite du mouvement ou de la pensée humaine, susciter un rire salvateur qui vient balayer les plus intimes frayeurs de l'unheimlich.

Sympathiques, les robots? A condition, peut-être, de ne pas tomber dans la « vallée de l'étrange » (Masahiro Mori) et de ne partager avec l'humain que peu de caractéristiques; pour rester sympathique, le robot doit se contenter de le singer dans un mimétisme mécanique imparfait et suffisamment discernable pour qu'apparaissent les ficelles de l'artifice. C'est à ce prix qu'il pourra susciter des émotions positives et provoquer ce rire que Bergson définissait précisément comme « du mécanique plaqué sur du vivant », ajoutant que « les attitudes, gestes et mouvements du corps humain sont risibles dans l'exacte mesure où ce corps nous fait penser à une simple mécanique » (Bergson, Le Rire). On pourra ainsi se poser la question du lien entre les évolutions sociétales et la représentation du robot, tout à tour menaçant et hilarant : que l'on songe à la contre-culture américaine qui, dans les années 1970 apporte son lot de fictions futuristes dont les héros sont des robots humoristes prêts à remplacer leurs modèles humains en toutes circonstances (R. Sheckley, J.T. Sladek).

 

Ainsi, ce colloque permettra d'explorer les figures de la machine dans ses aspects les plus « sympathiques », au double sens de qui éprouve et/ou qui suscite la sympathie, depuis ce deus ex machina qui, dans le théâtre antique donne à l'intrigue un tour décisif quoique inopiné jusqu'à ces performances contemporaines qui mettent en présence danseurs et bras articulés dont les mouvements accompagnent au plus près ceux des comédiens, entrant en « résonance sympathique » avec eux, comme c'est le cas dans la pièce d'Aurélien Bory, "Sans objet" (Paris, 2015) ou encore dans le spectacle "Dolly", monté par les américains Fabian Winkler, Rebecca Bryant et Carol Cunningham-Sigman (2010). Se posera alors la question de la machine comme alter-ego ou comme corps étranger à la précision infaillible, du chiasme marionnette manipulatrice et marionnettiste manipulé, de la mécanisation de l'humain au contact de la machine ou de l'humanisation de la machine lorsqu'elle interagit avec l'humain. On se posera, avec Kubrick (2001: a Space Odyssey), Spike Jonze (Her) ou encore Lars Lundström (série suédoise Real Humans), la question de l'intelligence artificielle et de ses capacités émotionnelles à l'heure où les grandes entreprises du numérique se concentrent sur le lien étroit entre modélisation mathématique d'un raisonnement et comportement affectif.

Dans le domaine artistique encore, la récente exposition qui s'est tenue en avril 2018 au Grand Palais ("Artistes et robots") a su confirmer le rôle de plus en plus prépondérant de la machine dans le domaine de la création, depuis le CYSP I de Nicolas Schöffer (1959), première sculpture cybernétique de l'histoire de l'art, jusqu'à ces logiciels algorithmiques à même de remplacer l'artiste. L'IA, nous rappelle, Jean-Claude Heudin, n'a cessé d'évoluer depuis ses prémices en 1956: ainsi, l'IA "Deep Dream" de Google, aussi nommée "inceptionnisme" en référence au film Inception de Christopher Nolan (2010), est à présent capable d'inventer ses propres formes à partir d'images pré-existantes repérées dans des photos ou des toiles de maîtres.

Les propositions, qui pourront toucher aux domaines littéraire, artistique, philosophique, historique ou scientifique devront nous parvenir pour le 1er septembre 2018. Merci d'envoyer un abstract de 250 mots ainsi qu'une notice bio-bibliographique à Juliette Grange [juliette.grange@free.fr], Sylvie Humbert-Mougin [sylvie.humbert-mougin@wanadoo.fr] et Anne Ullmo [anneullmo1@gmail.com].

 

Comité scientifique:

 

  • BOOF-VERMESSE Isabelle, Maître de conférences en Etudes littéraires, Mondes anglophones, Université de Lille 3

  • CHASSAY Jean-François, Professeur en Etudes littéraires, UQAM, Canada

  • ENGELIBERT Jean-Paul, Professeur de littérature comparée, université Bordeaux-Montaigne

  • GIRARD Didier, Professeur en Etudes littéraires, Mondes anglophones, Université de Tours

  • GRANGE Juliette, Professeur de philosophie, Université de Tours

  • HUMBERT-MOUGIN Sylvie, Maître de conférences HDR en littérature comparée, Université de Tours

  • KRZYWKOWSKI Isabelle, Professeur de littérature générale et comparée, Université de Grenoble

  • ULLMO Anne, Professeur de littérature américaine, Université de Tours

: Sylvie Humbert-Mougin