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Comparatistes en quarantaine (3) Mario Benedetti
Le poète italien, Mario Benedetti, vient de s'éteindre. Né en 1955, enseignant, traducteur, il avait obtenu le prix Brancati en 2014 pour Tersa morte (Milan, Mondadori, 2013) et le prix Villalta en 2018 pour l’ensemble de son œuvre (Tutte le poesie, Milan, Garzanti, 2017). Il est mort à Piàdena, le 27 mars 2020.

Nous publions ici quatre de ses poèmes, traduits par Jean-Charles Vegliante, qui a eu l’amitié de nous les transmettre. Les traductions sont inédites : Jean-Charles Vegliante a traduit un large choix de poèmes de Mario Benedetti, dont on pourra lire des extraits ici  et , mais qui n’a pas, pour l’instant, trouvé d’éditeur.

 

Da lontano

E la casa mi volava via nel prendere sonno.
Ero con mio fratello così distante dai nostri giochi
della palla, dell’aquilone, della canoa.

Era perché non poteva restare niente di tutto questo
che gli occhi facevano i matti. Sorpresi come uno stupido
a cui si dice “che cosa fai”. Non lo sapevo, non avevo febbre,

sentivo una carnagione nelle tende le parole in giro
del viso della nonna. Ruotavo la testa per fare la giostra
con i bambini e con i grandi che vedevo e non vedevo:

la tasca, il naso, le ginocchia, una mano con la mela
o con la scodella, o con niente, senza braccio,
come da paure, da un cervello ferito in una parte.

A letto era un bel cielo dalle finestre di tanti bei giorni.
Venivano da lontano, dalle parole che si dicevano in casa.
Quando pioveva eravamo solo acqua e con il vento aria.

Venivano tanti che diventavano subito bambini…

(Umana gloria, 2004)

 

De loin

Et ma maison s'envolait pendant que je m'endormais.
J'étais avec mon frère tellement éloigné de nos jeux
à la balle, au cerf-volant, en canoë.

C'est parce qu'il ne pouvait rien rester de tout cela
que les yeux faisaient les fous. Surpris comme un idiot
à qui l'on dit “qu'est-ce que tu fais”. Je ne savais pas, je n'avais pas de fièvre,

je sentais un épiderme dans les rideaux les mots vagants
du visage de grand mère. Je tournais ma tête pour faire le tourniquet
avec les enfants et les grands que je voyais sans les voir :

la poche, le nez, les genoux, une main tenant une pomme
ou une poêle, ou rien, sans son bras,
comme en peurs, en un cerveau blessé d'un côté.

Au lit c'était un beau ciel par les fenêtres de tous ces beaux jours.
Ils venaient de loin, d'après les mots qu'on disait à la maison.
Quand il pleuvait nous étions seulement eau, et avec du vent, air.

Il en arrivait tellement, qui devenaient aussitôt enfants…

(Humaine gloire, 2004)

 

 

Colori 4

Altro, ora, muove le ciglia di ognuno.
Il sensibile, ora, e gli spasmi dell’infelicità.

Nel tempo senza tempo, i passi, un braccio
insieme, il gomito che lo tiene.

Ma trema sfilandosi. O gioca, non sa.

Sono contenta, dici. Sì, è così essere contenti.
Gli spasmi rilasciati, e gli occhi, il corpo

nel tempo senza tempo. Non sono gli stessi.
Pelle e calore, umide ciglia, pelle e calore.

Altre città, dolce passeggio, vuoti ricordi.

(Pitture nere su carta, 2008)

 

Couleurs 4

Autre chose, à présent, meut les cils de chacun.
Le sensible, à présent, et les spasmes de l'affliction.

Dans un temps sans temps, les pas, un bras
ensemble, le coude qui le tient.

Mais il tremble en s'enlevant. Ou joue, ne sait pas.

Je suis contente, dis-tu. Oui, c'est cela être content.
Les spasmes relâchés, et les yeux, le corps

dans le temps sans temps ne sont pas les mêmes.
Peau et chaleur, cils humides, peau et chaleur.

Autres villes, douce promenade, vides souvenirs.

(Peintures noires sur papier, 2008)

 

 

A metà sulla terra, a metà nel cielo

Terra lasciata a nessuno

le parole che non so.
Fibra caduta fuori e non so dire
che un tempo ero qui
e mi dicevano: tu,
e io dicevo: sai, senti, sì.

*

Sangue per potere parlare.
Imbevuto di «Sai…»

Miracolo del volto
sottoterra. Prendimi con te.

Ombra.
Non sono e non sei, mai stati. Dillo.

Due di notte. Tre di notte.
Vetro grigio, palazzo, fiore, terrazzo.

Una donna
e un uomo, apparenti.

(Materiali di un’identità, 2010)

 

Moitié sur terre, moitié dans le ciel

Terre pour personne laissée
les mots que je ne sais pas.
Fibre tombée au-dehors et je ne sais dire
qu’une fois j’étais ici
et l’on me disait : tu,
et je disais : tu sais, écoute, oui.

*

Sang pour pouvoir parler.
Imprégné de « Tu sais… »

Miracle du visage
sous terre. Prends-moi avec toi.

Ombre.
Je ne suis et tu n’es, jamais été. Dis-le.

Deux heures. Trois heures du matin.
Verre gris, immeuble, fleur, terrasse.

Une femme
et un homme, apparents.

(Matériaux d’une identité, 2010)

 

 

Non potevi saperlo. C’era solo l’erba,
il dorso delle tante mani nella terra,
le dita lunghe arrampicate nell’aria.

Altre si sono annodate alle tue,
la metà che allora ti mancava
hai trovato seguendo la vita.

Non dire niente. Il silenzio ripasserà
e morirà per qualcuno. Cosa puoi fare?
Ora non tutti sono come te. Cantano,

hanno faccende di cui occuparsi,
quasi quotidianamente si sentono eterni.
Anche se è stupido diluire la morte

Con la vita, non farti questa domanda:
era all’inizio del gioco, felice
e macabro che non puoi giocare.

(“Ve ne siete andati con il viso inerte”, Tersa morte, 2013)

 

Tu ne pouvais pas le savoir. Il n’y avait que l’herbe,
le dos des si nombreuses mains dans la terre,
les doigts longs qui grimpent dans l’air.

D’autres se sont noués aux tiens,
la moitié qui alors te manquait
tu l’as trouvée en suivant la vie.

Ne dis rien. Le silence repassera
et tu mourras pour quelqu’un. Que peux-tu faire ?
Maintenant tous ne sont pas comme toi. Ils chantent,

ils ont des affaires pour s’occuper,
presque quotidiennement ils se sentent éternels.
Même s’il est stupide de diluer la mort

avec la vie, ne te pose pas cette question :
c’était au début du jeu, heureux
et macabre que tu ne peux pas ne pas jouer.

(‘Vous êtes partis le visage inerte’, Mort nette, 2013)

 

 
: Enrica Zanin