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Présentation

ARTICLE

Tandis que s’ouvraient, en 2014, les commémorations de la Première Guerre mondiale, l’Université de Strasbourg et son centre de recherches en littérature comparée, L’Europe des lettres, ont proposé de consacrer le 39e Congrès annuel de la Société française de littérature générale et comparée aux représentations littéraires de la guerre. Il s’agissait, pour les quelque soixante comparatistes invités, de définir la contribution particulière de leur discipline à une approche des imaginaires et des poétiques littéraires propres aux conflits armés. Nullement limitée au xxe siècle (même si, en raison de ce centenaire, plusieurs ateliers seraient naturellement consacrés à la Grande guerre), la problématique proposée devait être celle des points de vue croisés d’écrivains de cultures diverses sur les conflits. Elle invitait à considérer et à comparer l’expérience que chacun des camps adverses pouvait avoir d’un même conflit. Dès le titre du recueil, l’ensemble des travaux que l’on pourra lire ici soulève ainsi la question essentielle des expériences plurielles de la guerre, et de leur restitution par des textes littéraires écrits dans des langues diverses, ou venus de cultures différentes.

En plaçant la question de la perspective au cœur de leurs recherches, les historiens J. Keegan, puis V. D. Hanson (Le Modèle occidental de la guerre. La bataille d'infanterie dans la Grèce classique, traduction française en 1990) ont profondément renouvelé l’historiographie de la guerre depuis une vingtaine d’années. Dans son ouvrage de référence, Poétique du récit de guerre (Corti, 1998), Jean Kaempfer a procédé de façon similaire et montré les variations de perspective que connaît l’écriture littéraire de la guerre au fil de l’histoire.

Parce qu’elle a fait des perspectives contrastées l’un de ses objets privilégiés, la littérature comparée offre un apport irremplaçable pour interroger les images et la poétique de la guerre. Regards différents portés sur la même situation historique selon que l’écrivain appartient à un camp ou un autre ; croisement ou non de ces regards au moment même de la guerre ; effets de focalisation, regards engagés ou regards distancés (sans oublier le regard de Dieu, souvent invoqué) ; perspective aérienne de l’aviateur, vision à ras de terre du soldat, ou même parfois point de vue imaginaire des animaux victimes de la folie humaine ; mensonges de la propagande et témoignage vrai des hommes qui souffrent ; lyrisme ou anti-lyrisme de la poésie de guerre ; destin de la langue elle-même face à l’indescriptible – autant d’axes pour aborder les modes littéraires du conflit armé, et de ses suites. Car la guerre continue souvent en soi, comme à retardement, lorsque les armes se sont tues, et inspire par alluvions des textes écrits longtemps après la fin des hostilités.

Une dimension archéologique du récit de guerre est donc à prendre en compte, puisque, au moment où l’on évoque l’horreur du combat (ou qu’on l’exalte…), des souvenirs affleurent de textes anciens et fondateurs : Homère, les tragiques grecs, le Tasse… Croiser les époques pour asseoir le récit, et se réclamer de maîtres lointains pour s’en donner le courage – tels sont souvent les principes de l’écriture. Mais aussi croiser les arts. Car, dans son effort pour dire les combats et la misère des hommes, la littérature se sert souvent d’autres arts comme point d’appui, ou comme repoussoir : la peinture, la musique, la photographie, le cinéma offrent à la réflexion littéraire un apport précieux lorsqu’il s’agit de penser les possibilités de la représentation.

À l’exploration archéologique et intertextuelle du récit de guerre est consacrée la première section du recueil : Les littératures anciennes et leurs échos, qui s’arrête sur de grands récits fondateurs de la violence en Occident – de la tragédie grecque, telle que l’analysait François Lecercle dans sa conférence plénière, aux chroniques des Croisades, puis aux xvie et xviie siècles.

Les deux sections suivantes, Points de vue et Regards croisés, qui réunissent le plus large nombre de contributions, touchent au cœur de la problématique initialement proposée aux chercheurs du Congrès : celle des perspectives contrastées. À partir des réflexions proposées par Jean Kaempfer dans son ouvrage de 1998, puis de la réflexion synthétique qu’il offrit dans la seconde conférence plénière de la manifestation, plusieurs voies se dessinent : tantôt, à partir d’une même réalité guerrière, on examine des récits venus de camps différents, « à fronts renversés » (ainsi que les nomme, d’une heureuse formule, l’un des contributeurs) ; tantôt l’on confronte des discours de nature et de formes différentes (discours de propagande ou de protestation opposés) ; tantôt encore l’on observe les effets de polyphonie au sein d’un même texte… Il s’agit, dans tous les cas, d’observer comment la littérature s’efforce de faire sens de l’inconcevable – à moins au contraire qu’elle finisse par montrer le non-sens même, comme dans les cas-limites représentés par les guerres civiles, dépourvues de toute justification et même de toute intelligibilité. Les points de vue se juxtaposent alors, se diffractent à l’infini, tous aussi légitimes en apparence, tous aussi absurdes, et sans qu’il soit désormais possible de fonder la moindre axiologie.

Le langage même, et la forme littéraire ne demeurent pas indemnes de ces expériences de l’extrême. Successivement dédiées à la poésie (à ses conditions de possibilité, à la résistance de la syntaxe et au sens des mots), puis au roman (aux métamorphoses de sa forme), les quatrième et cinquième parties du volume mettent la notion de crise en leur cœur.

Rassemblées sous le titre La Guerre et la correspondance des arts, cinq contributions soulèvent ensuite, dans un sixième temps, des questions de transposition de la réalité guerrière dans des systèmes sémiotiques divers : la mise en scène théâtrale, le cinéma, la statuaire… Enfin, une septième et dernière section, Traumatismes d’après-guerre, se penche sur les suites du conflit dans leurs formes à la fois psychiques (la folie, le suicide, l’aphasie), rhétoriques et poétiques (l’ellipse, l’allusion, la prétérition), et leurs implications anthropologiques. Car la littérature semble le montrer : la guerre, comme phénomène humain, ne trouve guère de fin et survit comme réalité, comme menace, comme traumatisme, ou comme souvenir une fois la paix rétablie. Mais peut-être les récits de guerre (c’est l’espérance avancée par quelques rares contributions) contribuent-ils aussi, après le déchirement, à refonder une communauté. Dans le poème « Guerre » de Calligrammes, Apollinaire n’écrivait-il pas :

Avant elle nous n’avions que la surface

de la terre et des mers.

 

Le Comité scientifique et éditorial du recueil :

Michèle Finck, Tatiana Victoroff, Enrica Zanin, Pascal Dethurens, Guy Ducrey, Yves-Michel Ergal et Patrick Werly

 

 

Diverses aides matérielles, et de nombreux soutiens ont rendu possible le 39e Congrès de la SFLGC à Strasbourg, et le recueil de textes ici rassemblés. Que soient particulièrement remerciés :

  • La Commission de la Recherche de l’Université de Strasbourg
  • Le Conseil régional d’Alsace
  • L’Équipe d’accueil Configurations littéraires (EA 1337) et sa directrice (2014), Mme la Professeure Béatrice Guion
  • La Société française de Littérature générale et comparée et sa Présidente (2014), Mme la Professeure Françoise Lavocat
  • La Faculté des lettres de l’Université de Strasbourg et son Doyen, M. le Professeur Frédéric Chapot
  • Mme la Professeure Anne-Rachel Hermetet, membre du Comité scientifique du Congrès.
  • Les étudiants en Master et les doctorants rattachés à L’Europe des lettres en 2014 : Muriel Denefle, Orlane Glises, Maud Lehodey, Maud Le Geval, Jordan Thil.