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Vénus à la fourrure ou la remédialisation d’une ambiguïté. Léopold von Sacher-Masoch (1870) et David Ives (2010)
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La morale de Vénus à la fourrure de Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895), publié en 1870, est tout aussi ambiguë que celle des Liaisons dangereuses – glorification ou condamnation du libertinage pour l’un, adoration ou exécration de la belle cruelle chez l’autre ? La question n’a pas pu être tranchée à ce jour. Aussi nous semble-t-il pertinent d’analyser comment cet aspect crucial de la nouvelle est remédialisée par David Ives dans sa pièce Venus in Furs, créée à Broadway en 2010, par des procédés propres au genre, comme le théâtre dans le théâtre, par le dédoublement des personnages, mais surtout en explicitant dans les dialogues un certain nombre de critiques émises à propos du texte de Sacher-Masoch, dont le caractère ambigu. Nous nous intéressons aussi à la manière dont cette transposition du genre littéraire permet à l’auteur de traiter la question des rapports entre les genres de ces deux personnages, entre homme et femme, entre dominant(e) et dominé(e).
The morality of Leopold von Sacher-Masoch’s (1836-1895) Venus in Furs, published in 1870, is just as ambiguous as the one of Laclos’s Dangerous Liaisons – on the one hand glorification or condemnation of libertinage, on the other hand adoration or execration of the beautiful cruel? The question has not yet been resolved. It, therefore, seems productive to analyze how this crucial aspect of the story is remediated by David Ives in his piece Venus in Furs, created on Broadway in 2010, by genre-specific methods, such as theater in the theater, by the duplication of the characters, but also by expressing in the dialogues a certain number of criticisms made about the text of Sacher-Masoch, expatiating on its ambiguous character. We are also interested in the way in which this transposition of the literary genre allows the author to deal with the question of the relationship between the genres of these two characters, between man and woman, between the dominator and the dominated.

ARTICLE

      Une des qualités majeures de toute œuvre d’art consiste indéniablement dans son ambiguïté, dans le sens d’une ouverture à l’interprétation, proposé par Umberto Eco, et que Wolfgang Iser a développé, en insistant sur l’importance des Unbestimmtheitsstellen, ces éléments « d’indétermination » du texte littéraire. Dans le roman libertin, cette ambiguïté peut se situer sur le plan moral et représenter alors un champ d’analyse privilégié, comme le montre la critique des Liaisons dangereuses. La question de savoir si le roman constitue une condamnation ou une glorification du libertinage a fait couler beaucoup d’encre, sans avoir été définitivement résolue, et les sentiments des protagonistes ne sont pas moins équivoques. Chaque lecteur peut aisément comprendre qu’il s’agit d’un jeu de pouvoir entre le vicomte et la marquise, que Valmont souhaite renouer avec elle, ne serait-ce que pour satisfaire sa propre vanité, tandis que l’orgueil féminin de Madame de Merteuil est profondément blessé par les éloges qu’il fait des délices vécus avec la Présidente. Cependant, le roman ne nous permet aucunement de trancher si Valmont aime vraiment cette dernière ni s’il est aimé par la Marquise. La remédialisation du roman dans la version cinématographique par Stephan Frears, elle, tranche clairement ; elle montre un Valmont qui, pendant le duel, ne pense qu’à Madame de Tourvel, et une Merteuil qui s’effondre quand elle apprend la mort de son complice.
      Les véritables motivations de l’énigmatique Wanda von Dunajew dans la Venus im Pelz de Leopold von Sacher-Masoch [1] , sont tout aussi insondables que les sentiments des protagonistes des Liaisons, et nous nous demandons comment David Ives a traité cet aspect dans sa pièce Venus in Fur. Nous connaissons tous le nom de l’auteur de l’hypotexte, immortalisé en 1886 par Richard von Krafft-Ebing [2] , alors que la plus grande partie de ses très nombreux ouvrages historiques ou littéraires sombrent dans l’oubli [3] . Il en est autrement de la Vénus à la fourrure et de sa trame principale, l’histoire d’un jeune homme qui tombe sous le charme et la férule d’une belle veuve qui exerce de manière toujours plus cruelle son empire sur lui. La nouvelle a été publiée en 1870, alors que l’auteur « avait atteint le sommet de sa renommée littéraire [4]  », et elle fit scandale. « Son sujet controversé a suscité en Autriche et en Allemagne une réception par la critique aussi négative que celle des œuvres précédentes avait été positive [5] . » La traduction française, en revanche, fut accueillie de manière plutôt favorable [6] . Aujourd’hui généralement commercialisée dans des éditions ne comportant que ce texte [7] , la Vénus à la fourrure est, à l’origine, l’avant-dernière [8] des six pièces de la première des six parties (« Liebe ») du cycle Le Legs de Caïn [9] (Das Vermächtniß Kains 1870-1877), composées chacune de six nouvelles. D’après l’auteur, « tous les grands problèmes, tous les dangers de l’existence, toutes les souffrances de l’humanité » y sont traités sous « six points de vue différents [10] », l’amour, la propriété, l’état, la guerre, le travail et la mort.
      La Vénus à la fourrure a été considérée comme assez sulfureuse pour avoir été mise à l’index en Allemagne en 1958 (!) ; elle a reçu ses titres de noblesse par les études que Gilles Deleuze [11] et Pasqual Quignard [12] lui ont consacrées, et elle a inspiré la pièce de David Ives qui fut créée en 2010 avec succès à Broadway, dont Roman Polanski a tiré son film éponyme de 2013 avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric.
      Contrairement aux Liaisons dangereuses de Christopher Hampton dont l’intrigue suit de près celle du roman de Laclos, David Ives dédouble la trame : dans un huis-clos, une actrice joue certaines scènes d’une adaptation théâtrale du roman pendant que l’auteur de ce texte lui donne la réplique. Dans les pages qui suivent, nous nous demandons comment Ives traite l’ambiguïté de la nouvelle de Sacher-Masoch, plus précisément comment il présente le personnage féminin et comment il remédialise le rapport de force dans le couple. Nous nous intéressons aussi à la double transformation de l’image de la femme, d’une part par Thomas, l’auteur fictif de la pièce dans la pièce, et d’autre part par Ives.
      Avant de nous pencher sur Wanda, retraçons brièvement le portrait que l’auteur donne du protagoniste masculin13. Pour le dire en un mot, même après sa « guérison » sous la férule de Wanda, Séverin est toujours considéré comme « fou », comme un « fou dangereux », et même son ami ne peut s’empêcher de souligner son côté « bizarre », ses « étrangetés » :

Ich wußte, daß er sich nun lange Zeit nicht regen, ja kaum atmen würde, und so war es in der Tat, für mich hatte indes sein Benehmen nichts Auffallendes, denn ich verkehrte seit beinahe drei Jahren in guter Freundschaft mit ihm und hatte mich an alle seine Sonderbarkeiten gewöhnt. Denn sonderbar war er, das ließ sich nicht leugnen, wenn auch lange nicht der gefährliche Narr, für den ihn nicht allein seine Nachbarschaft, sondern der ganze Kreis von Kolomea hielt [13] . (p. 13 ; nous soulignons)

Je savais qu’il resterait un long moment sans bouger, qu’il ne respirerait qu’à peine ; c’est ce qu’il se produisit. Son comportement m’était naturel, une franche amitié nous liait depuis presque trois ans et je m’étais habitué à toutes ses étrangetés. Étrange, il l’était, on ne pouvait le nier, même s’il n’était pas le fou dangereux pour lequel il passait, non seulement auprès de son voisinage, mais également auprès de tout le petit cercle de Kolomyia [14] . (p. 17 ; nous soulignons)

      Il s’agit ici de l’appréciation d’une personne qui connaît bien le héros, qui peut exprimer un jugement sur lui d’autant plus fiable que les deux hommes sont issus du même milieu et qu’ils se fréquentent régulièrement depuis un certain temps, ce qui avait permis au narrateur de « s’habituer » aux étrangetés qui sont soulignées par la répétition chiastique et par l’ajout « on ne pouvait le nier ». Bien qu’il ait été reproché à Sacher-Masoch de ne pas être un écrivain de premier ordre, cette figure rhétorique démontre que Séverin est introduit d’emblée comme un être à part. Cette particularité ne se limite pas à son caractère, elle prend possession de son corps, elle se manifeste même sur le plan physiologique, comme le début de la citation le met en évidence. Aussi « étrange » qu’il puisse sembler, il est en même temps parfaitement prévisible pour son ami qui le connaît assez bien pour savoir quelle serait son attitude, et le texte souligne qu’il ne se trompe pas (« c’est ce qu’il se produisit »). Ce jugement est d’autant plus significatif, pour le lecteur, qu’il est exprimé par quelqu’un qui trouve le jeune homme « sympathique », ce qui lui vaut d’ailleurs d’être considéré lui-même comme « légèrement dérangé ». Séverin serait donc infréquentable, et il semble impossible aux gens « normaux » de se lier à lui.
      L’image que Séverin donne de lui-même dans son journal au moment de la rencontre fatale est tout sauf flatteuse : « je ne suis donc rien d’autre qu’un dilettante ; un dilettante en peinture, en poésie, en musique et dans d’autres arts dont on dit qu’ils ne nourrissent pas leur homme, […] et, plus que tout, je suis un dilettante pour les choses de la vie. » (p. 24) [« ich bin nichts weiter, als ein Dilettant; ein Dilettant in der Malerei, in der Poesie, der Musik und noch in einigen anderen jener sogenannten brotlosen Künste, […] und vor allem bin ich ein Dilettant im Leben. » p. 22]
      Ici encore, Sacher-Masoch a recours à la répétition pour souligner le dilettantisme du protagoniste, qui ne se limite pas au sens étymologique du terme d’un plaisir (diletto) procuré par la pratique de l’art, ne serait-elle que passive, mais qui révèle plutôt le côté fantaisiste du jeune homme. L’auteur ne se contente pas de répéter le terme, il reprend tout le syntagme « je suis un dilettante » qui encadre l’énumération des « arts qui ne nourrissent pas leur homme » auxquels il touche. La deuxième occurrence représente une gradation, parce que le dilettante tout court devient un « dilettante pour les choses de la vie », aspect renforcé par la suite :

Ich habe bis jetzt gelebt, wie ich gemalt und gedichtet habe, das heißt, ich bin nie weit über die Grundierung, den Plan, den ersten Akt, die erste Strophe gekommen. Es gibt einmal solche Menschen, die alles anfangen und doch nie mit etwas zu Ende kommen, und ein solcher Mensch bin ich. (p. 22-23)

J’ai vécu jusqu’à aujourd’hui comme j’ai peint ou fait de la poésie, ce qui signifie que je ne suis jamais allé au-delà de la première couche, du plan, du premier acte, de la première strophe. Il est de ces hommes qui commencent tout et ne mènent jamais rien à son terme ; un tel homme, voilà ce que je suis. (p. 24-25)

      Quand il raconte l’histoire de sa vie à la jeune veuve, il souligne le fait qu’il a été bizarre dès le berceau, ayant refusé le sein de la nourrice et ayant dû être nourri au lait de chèvre. Adolescent, il aurait été, d’après ses propres dires, « suprasensuel jusqu’à la folie » (p. 54) [« ich war übersinnlich bis zur Verrücktheit », p. 67], bien avant de recevoir un châtiment bien mérité d’une tante en fourrure, envers qui il s’était comporté « de la manière la plus inélégante, grossière et balourde qui soit » (p. 55) [« so unartig, boshaft und täppisch, wie nur möglich gegen sie », p. 68].
      Sans vouloir aucunement entrer dans une approche psychanalytique [15] , les quelques citations montrent que la scène de flagellation n’a fait que renforcer un caractère foncièrement « suprasensuel ». Ainsi, après la « catastrophe » finale avec Wanda, Séverin souhaite vivre « dans la peine, les dangers et les privations » (p. 179) [« Sehnsucht nach Mühen, Gefahren und Entbehrungen », p. 257], et aux côtés de son vieux père, il apprend à « travailler et à remplir [s]es devoirs » (ibid.) ; « arbeiten und Pflichten erfüllen », ibid. ; en italiques dans le texte allemand]. Se faisant à lui-même violence, il continue à vivre sous le sur-moi paternel : « J’ai chaussé ses bottes espagnoles et continue de vivre dans la mesure et la raison comme s’il se trouvait derrière moi et qu’il regardait par-dessus mes épaules de ses grands yeux vifs. » (ibid.) [« Ich habe mir selbst die spanischen Stiefel angelegt und lebe hübsch vernünftig weiter, wie wenn der Alte hinter mir stünde und mit seinen großen, klugen Augen über meine Schulter blicken würde. » ibid.]
      Cette contrainte qu’il s’impose à lui-même, brièvement résumée dans cette citation de la fin du livre, est exposée dès le début dans la description de l’ami qui insiste sur le « système » élaboré auquel Séverin soumet sa vie, sans toutefois réussir à se maîtriser à tout moment :

Er zeigte […] sogar Pedanterie. Er lebte nach einem minutiös ausgeführten, halb philosophischen, halb praktischen Systeme, gleichsam nach der Uhr, und nicht das allein, zu gleicher Zeit nach dem Thermometer, Barometer, Aerometer, Hydrometer, Hippokrates, Hufeland, Plato, Kant, Knigge und Lord Chesterfield ; dabei bekam er aber zu Zeiten heftige Anfälle von Leidenschaftlichkeit, wo er Miene machte, mit dem Kopfe durch die Wand zu gehen, und ihm ein jeder gerne aus dem Wege ging. (p. 13)

Il faisait preuve de […] pédanterie même. Il vivait selon un système minutieusement réglé, mi-philosophique et mi-pratique, d’après une pendule, pour ainsi dire, mais également d’après le thermomètre, le baromètre, l’aéromètre, l’hydromètre, Hippocrate, Hufeland, Platon, Kant, Knigge et Lord Chesterfield ; ce faisant, il cédait parfois à des crises d’une grande violence où il faisait mine de se taper la tête contre les murs et où chacun l’évitait. (p. 18)

      Le personnage de Séverin a beau être bizarre, sa vie est réglée comme du papier à musique et, dès le début, il est parfaitement prévisible. D’abord dilettante, puis pédant, il n’a rien d’énigmatique pour le lecteur, d’autant moins que la plus grande partie de la nouvelle est constituée de son « journal intime », donc rédigée à la première personne, nous donnant son point de vue au moment où il aurait vécu les événements relatés.
      Wanda, en revanche, apparaît entourée d’un certain air de mystère. Elle habite les appartements au-dessus de ceux du jeune dilettante, cachée derrière des volets clos ou les plantes grimpantes de son balcon qui ne laissent transparaître que quelques reflets de sa robe blanche. Malgré cette proximité, Séverin ne la connaît que par ouï-dire, ce qui ajoute au charme : « Elle doit être vraiment belle, cette veuve, et encore très jeune, vingt-quatre ans tout au plus, et très riche. » (p. 25) [« Sie soll wirklich schön sein, die Witwe, und noch sehr jung, höchstens vierundzwanzig, und sehr reich. » p. 24] Lors de leur première rencontre, il est frappé par son côté insaisissable, finissant la description par celle des yeux : « vert, comme une émeraude, comme un lac de montage aux profondeurs insondables. » (p. 33 [16] )
      Elle, de son côté, le saisit immédiatement : « "Vous considérez l’amour et la femme avant tout, reprit-elle, comme des choses hostiles, des choses contre lesquelles vous luttez vainement, dont vous ressentez la violence comme une douce torture, une piquante cruauté" » (p. 34) [« "Sie sehen die Liebe und vor allem das Weib", begann sie, "als etwas Feindseliges an, etwas, wogegen Sie sich, wenn auch vergebens, wehren, dessen Gewalt Sie aber als eine süße Qual, eine prickelnde Grausamkeit fühlen" », p. 36]. Ensuite, elle se lance dans une longue tirade dans laquelle elle se distancie radicalement de cette façon de concevoir l’amour. Le tout premier adjectif est répété à la fin : « heiter », donc gai, serein, et il résume sa philosophie personnelle, un carpe diem, une « sereine sensualité hellénique, la joie sans peine sont les idéaux qu[’elle s’]efforce d’accomplir au cours de [s]a vie » (p. 34 [17] ). Elle se place explicitement à l’opposé des fantasmes de Séverin et refuse de se délecter des tourments que ses charmes pourraient infliger à un adorateur.

« Einem Manne angehören, den ich nicht liebe, bloß deshalb, weil ich ihn einmal geliebt habe? Nein, ich entsage nicht, ich liebe jeden, der mir gefällt, und mache jeden glücklich, der mich liebt. Ist das häßlich? Nein, es ist mindestens weit schöner, als wenn ich mich grausam der Qualen freue, die meine Reize erregen, und mich tugendhaft von dem Armen abkehre, der um mich verschmachtet. Ich bin jung, reich und schön, und so, wie ich bin, lebe ich heiter dem Vergnügen, dem Genuß. » (p. 41)

« Appartenir à un homme que je n’aime pas, seulement parce qu’un jour, je l’ai aimé ? Non, je ne renonce à rien, j’aime celui qui me plaît, et je rends heureux celui qui m’aime. Est-ce odieux ? Non, c’est bien plus beau que de me réjouir cruellement des supplices que suscitent mes charmes et de m’éloigner du pauvre diable qui se consume pour moi, en feignant la vertu. Je suis jeune, riche et belle, je vis sereinement pour le plaisir et la jouissance. » (p. 37)

      Ainsi, Wanda professe un paganisme, un hédonisme et une volonté de liberté qui ne correspondent aucunement à l’idéal féminin de la seconde moitié du XIXe siècle et qui sont présentés avec une clarté presque éblouissante. Toutefois, on peut se demander si la nouvelle représente un plaidoyer pour « l’émancipation ou une démonisation de la femme [18] », et en regardant de plus près, son discours révèle des contradictions inhérentes : d’une part, la jeune femme se refuse à faire souffrir des prétendants en jouant à la belle dame sans merci ; d’autre part, elle revendique la liberté de quitter un amant sans égards aux blessures qu’elle inflige. Nous retrouvons un contraste du même ordre entre ses dires et la parfaite fidélité dont elle assure Séverin, à plusieurs reprises, malgré les apparences de coquetterie qu’elle se donne. Comment faut-il alors comprendre les moments de tendresse par lesquels elle interrompt les souffrances de son « esclave » ? Comme preuve d’une affection sincère ou comme caprices momentanés pour le torturer davantage par la suite ? La lettre qu’il reçoit d’elle trois ans après leur séparation, dans laquelle elle prétend avoir agi par amour, pour le guérir de son fantasme, peut sembler à première lecture peu convaincante, et même une analyse approfondie ne permet pas de répondre à la question de savoir si elle l’a écrite de toute bonne foi, si elle avait vraiment eu l’intention de le guérir de son « égarement », ou s’il elle a réalisé, dans ce rapport, ses propres pulsions sadiques, pulsions réveillées ou carrément provoquées par Séverin, ce que soutiennent plusieurs critiques comme récemment Birgit Lang [19] .
      Une lecture attentive pourrait faire pencher la balance vers la première hypothèse. Le credo hédoniste dans lequel Wanda récuse d’emblée la douleur, la cruauté et la torture ainsi que ses avertissements réitérés à chaque étape vers une soumission plus totale de son « esclave » livrent des arguments de poids. Dès le début, elle lui explique que ses souffrances sont « inutiles » parce qu’elle lui porterait une affection sincère dont elle l’assure à plusieurs reprises :

« Also – Sie sind wirklich verliebt – in mich ? »
« Ja, und ich leide dabei mehr, als Sie glauben. »
« Sie leiden ? […] Wozu ? » fuhr sie fort, « ich bin Ihnen ja gut, von Herzen gut. » (p. 54)
« Alors, vous êtes vraiment amoureux de moi ?
Oui, et j’en souffre davantage que vous ne croyez.
Vous souffrez […] Pourquoi ? a-t-elle poursuivi, je suis bonne envers vous, bonne de tout mon cœur. » (p. 45)

Et si les moments de tendresse sont suivis d’excès de cruauté exacerbée, il est vrai aussi qu’à chaque fois, Séverin persiste dans sa subordination, décevant Wanda qui, elle, recherche un homme qui la domine. Elle affirme : « je peux tout à fait m’imaginer appartenir à un homme pour la vie, à condition qu’il soit un vrai homme, un homme qui m’impose, qui me soumette avec toute la violence de son être » (p. 47) [« "ich kann mir ganz gut denken, daß ich einem Mann für das Leben gehöre, aber es müßte ein voller Mann sein, ein Mann, der mir imponiert, der mich durch die Gewalt seines Wesens unterwirft" », p. 55].
      Toutefois, cette femme qui conteste ressentir du plaisir lorsqu’elle fouette son amant pour la première fois, prétend avoir « des talents de despote » (p. 40) [« "ich habe Talent zur Despotin" », p. 45]. Elle le dit « prise d’un éclat de rire », mais le rapport avec Séverin semble lui révéler ses talents enfouis. Elle reconnaît : « Oh ! À mes yeux, vous êtes un homme à corrompre une femme au plus profond d’elle-même. » (p. 59) [« "Oh! Sie sind mir der Mann, eine Frau von Grund aus zu verderben!" », p. 73] Ce qui n’empêche qu’elle se montre réticente aux désirs de Séverin d’être fouetté, et si elle accepte le rôle qu’il lui demande de jouer, cela serait uniquement par amour pour le jeune homme, mais ensuite, elle prend graduellement goût à la situation. « Je vois poindre en moi de dangereuses inclinations » (p. 69) [« "Ich sehe, daß gefährliche Anlagen in mir schlummern" », p. 90], inclinations qu’elle a d’abord du mal à admettre :

« Ich glaube », fuhr ich fort, « daß es Ihnen Vergnügen macht, einen Mann ganz in Ihrer Hand zu haben, zu quälen – »
« Nein, nein ! » rief sie lebhaft, « oder doch » – sie sann nach. « Ich verstehe mich selbst nicht mehr », fuhr sie fort, « aber ich muß Ihnen ein Geständnis machen. Sie haben meine Phantasie verdorben, mein Blut erhitzt, ich fange an, an allem dem Gefallen zu finden » (p. 86).
« Je crois, poursuivis-je, que vous aurez plaisir à tenir totalement un homme, à le tourmenter…
Non, non ! cria-t-elle vivement. Encore que… » Elle réfléchit. « Je ne me comprends plus moi-même, continua-t-elle, mais je dois vous faire un aveu. Vous avez corrompu mon imagination, vous m’avez échauffé les sangs, je commence à prendre plaisir à tout cela » (p. 66-67).

      Malgré cette confession, elle essaie à maintes reprises de dissuader Séverin, exigeant qu’il ne lui parle plus de « ces folies » (p. 67) [« Ihren Wahnsinn », p. 88], mais après l’avoir fouetté pour la première fois, la glace semble être rompue, car elle affirme : « tu as réveillé de dangereuses inclinations en moi. » (p. 73) [« Du hast gefährliche Elemente in meiner Natur geweckt. » p. 96] On pourrait croire qu’elle fait beaucoup plus que de se prendre au jeu, lorsqu’elle déclare « que c’est devenu une pulsion puissante, qui me comble, à laquelle je trouve du plaisir, contre laquelle je ne peux rien faire » (p. 90) [« jetzt, wo es zu einem mächtigen Trieb geworden ist, wo es mich ganz erfüllt, wo ich einen Genuß darin finde, wo ich nicht mehr anders kann und will », p. 124]. Cette phrase semble confirmer la deuxième hypothèse que ce rapport lui permet de vivre ses propres penchants, encore faut-il prendre en considération qu’elle la prononce au moment où Séverin veut faire marche arrière. Il se peut donc qu’elle ne fait que simuler son côté dominant, justement pour faire du jeune dilettante ce qui serait, à ses yeux, un véritable homme, et elle lui jette à la tête : « tu dois être esclave et tâter le fouet, car tu n’es pas un homme » (p. 92) [« "Ja, du mußt Sklave sein, die Peitsche fühlen – denn ein Mann bist du nicht" », p. 127].
      Wanda est donc insaisissable, ce qui fait intrinsèquement partie du rapport de ce couple. Achim Geisenhanslüke parle de « l’énigme du masochisme [20]  », pendant que Albrecht Koschorke constate « l’ambiguïté inhérente au masochisme [21]  » qui se manifeste dans le livre de celui dont le nom fut choisi pour désigner cette orientation sexuelle. Birgit Lang adhère à la façon de Wanda de présenter sa propre évolution, et la considère comme un mécanisme fatal dans ce type de relation :

Wanda is aware of the instability of the role/identity distinction. She warns Severin that the transition from fantasy to practice can be rough: "Beware, if you do find your ideal you may well be treated more cruelly than you anticipated" (180-81). She suspects that unleashing the despot within her might undermine the modes by which Severin succeeds insulating the fantasy. She is right. Once the performance of masochistic theatricality actually begins, the neat dissociation between identity and role will give way to a crumbling of the boundary between self and the role within both lovers [22] .

     Venus à la fourrure présente donc un homme à la personnalité certes complexe mais aux contours clairement définis, tandis que la femme reste insaisissable, qualité nécessaire pour exercer une fascination si intense. Quelle forme David Ives donne-t-il à ce trait fondamental du personnage féminin dans sa Venus in furs, succès de Broadway sorti en 2010, huis clos qui met face à face l’adaptateur de la nouvelle de Sacher-Masoch pour le théâtre et une actrice, arrivée en retard pour l’audition ?
      À première vue, cette retardataire est surtout vulgaire, proférant d’innombrables « fuck », traduits par « putain » dans la version de Roman Polanski, sortie en salle trois ans plus tard. Thomas, l’adaptateur du roman de Sacher-Masoch, fatigué et frustré après une longue journée où il a vu défiler de trop nombreuses aspirantes au rôle de Wanda, qu’il juge les unes et les autres bêtes et incapables, s’apprête à quitter le théâtre. Arrive une femme, avec beaucoup de retard, qui use d’une des plus vieilles armes de son sexe, des larmes, pour arracher une audition à Thomas qui assume aussi la mise en scène ; il cède et lui donne la réplique. Alors, il va de surprise en surprise : la candidate ignare, grossière, sortie du néant – malgré ses affirmations, son nom ne se trouve sur aucune liste – s’appellerait Vanda Jordan (Jourdain). De son gros sac, elle extrait, un peu à la Mary Poppins, les objets qui laissent Thomas de plus en plus perplexe, à commencer par le texte intégral de son adaptation qui n’avait été transmis ni aux agents ni aux actrices. Ensuite, une robe « very 1870 [23]  » (p. 8) et finalement un frac, vintage, comme par hasard fabriqué par Siegfried Mueller à Vienne en 1869 (p. 21). À la plus grande stupéfaction du jeune homme, cette goujate inculte prend un accent parfait et poli (« a perfect, polished accent », p. 15) dès qu’elle commence à réciter – ce qui lui permet d’incarner le rôle avec une maîtrise aussi étonnante que probante. Il s’avère même qu’elle connaît le texte, qu’elle n’aurait que « survolé rapidement », par cœur.
      Peu à peu, elle se révèle beaucoup moins illettrée que prétendue telle, sort de son sac un exemplaire de la nouvelle de Sacher-Masoch dont elle avait affecté ignorer l’existence. Quand elle insère un « Methinks the lady doth protest too much » dans son discours peu soigné, cette réplique de Gertrude, mère de Hamlet, peut se comprendre dans la bouche d’une actrice, mais elle devient presque effrayante lorsqu’elle émet des hypothèses extrêmement proches de la réalité sur la fiancée de Thomas (p. 48-49). Ses tentatives d’indiquer une source plausible où elle aurait pu puiser ces informations ne sont guère convaincantes (p. 63). À ce point, Vanda Jordan devient plus qu’énigmatique ; elle laisse le spectateur perplexe et commence à inquiéter Thomas qui est de plus en plus fasciné par elle.
      Nous sommes donc face à un personnage qui n’aurait pas trouvé l’approbation d’Aristote : cette « actrice » n’est pas seulement menteuse et déconcertante, mais surtout incohérente, voire invraisemblable. Pour rendre ces invraisemblances plausibles, l’auteur a finalement recours à un coup de théâtre, insinuant que cette femme, qui tirera une véritable fourrure de son sac pour le dénouement, ne serait autre que Vénus en personne, donc une sorte de dea ex machina.
      Présentée de cette manière, la remédialisation de l’ambiguïté semble presque être un peu plate, ce qui n’est cependant pas le cas. Il est certain que David Ives s’inscrit dans une double tendance avec sa pièce : la mise en scène d’œuvres littéraires narratives souvent classiques et la représentation du théâtre sur le théâtre [24] . Dans la « pièce » de Thomas Novechek qui est récitée par l’auteur et l’actrice pendant de longs passages (imprimés en italiques) de Venus in Fur, Ives propose un dénouement qui dément l’hypothèse selon laquelle Wanda se serait vraiment fait entraîner par le jeu avec Séverin, qui aurait révélé une pulsion cachée en elle. Il reprend l’idée principale de la lettre que la Wanda de Sacher-Masoch écrit à Séverin après leur séparation : « Didn’t you see how hard it was for me to hurt you ? I played my part better than you ever expected, didn’t I ? I did all this to save you. To show how much I loved you [25] . » (p. 71) Ensuite, il donne un tour tout à fait inattendu à ce couple, inversant le rapport de force et attribuant un tout autre penchant à la femme qui continue : « I’m the one that should be subjugated. I’m the one that should be bound and whipped. » Et après quelques répliques : « Humiliate me. Degrade me. […] Beat me, hurt me » (p. 72).
      À ce point, nous pouvons résumer que l’ambiguïté de Wanda est d’une part transformée en un revirement surprenant de Dunayev [26] et dans la transformation progressive de Vanda, vulgaire d’abord, puis surprenante et ensuite mystérieuse avant de se révéler être Aphrodite en personne. Beaucoup plus intéressante est la manière dont Ives reprend l’ambiguïté inhérente au rapport masochiste dans le jeu de pouvoir entre ses deux personnages sur les deux plans de l’intrigue. Dans l’adaptation de Thomas, les choses ressemblent grosso modo à la nouvelle. Le revirement final condense deux aspects : d’une part le désir de Wanda d’appartenir à un « homme fort » (p. 180) [« starken Mann, p. 258], d’autre part la leçon que Séverin a titrée de leur histoire, que l’homme « n’a pour seul choix que d’être le tyran ou l’esclave de la femme » (p. 22) [« Er hat nur die Wahl, der Tyrann oder der Sklave des Weibes zu sein. » p. 19], et par conséquent, il « dresse » son épouse « au knout » (p. 23) [« mit dem Kantschuk erziehe », p. 18].
      Cette prise de position peut être considérée comme misogyne. En effet, Vanda exprime de manière simpliste un certain nombre des critiques opposées à Sacher-Masoch à propos de sa nouvelle. L’actrice grossière, ayant joué précédemment au « théâtre de l’Urinal », se met à discuter avec Thomas, l’auteur de la pièce. Elle s’attaque directement à la devise qu’il a reprise de Sacher-Masoch et qui est tirée de la bible : « Mais le seigneur tout-puissant l’a châtié : il l’a livré aux mains d’une femme. » (Livre de Judith, XVI, 7) Elle la qualifie de « pretty sexist » (p. 14). Après avoir fait lire à Thomas le passage de la punition de l’adolescent par sa tante, elle reste fidèle à l’image qu’elle donne d’une femme peu cultivée, commentant « So, actually, this play is, like, all about child abuse. » (p. 24) Ses premiers commentaires tendent donc à simplifier l’adaptation, et avec elle le texte de Sacher-Masoch, émettant des banalités, des préjugés sur le rapport entre Wanda et Séverin.
      Quand Vanda essaie par la suite de mieux comprendre la pièce de Thomas, ou quand elle fait semblant de vouloir mieux la comprendre, l’auteur insiste sur le terme « ambigu », soulignant une fois de plus le côté ignare de la femme qui le confond avec « ambivalent » [27] . Elle est trop inculte pour trouver le mot adéquat, mais elle pointe du doigt cette qualité inhérente au texte de Sacher-Masoch et à l’adaptation de Thomas.

Vanda. – And Vanda really is Venus, right ? Am I crazy ? She’s like Venus in disguise or something, come down to get him. To, like, torture him.
Thomas. – Well… Not really… Or not exactly…
Vanda. – Okay, I won’t ask. You probably wanted it to be, like, ambivalent.
Thomas. – Ambiguous.
Vanda. – Right, right. (p. 28)

      Si l’auteur ne répond que de manière évasive, cela peut se comprendre comme une position de supériorité de celui qui pense que son vis-à-vis ne serait pas capable de comprendre les nuances d’une réponse adéquate au sujet. Au cours de leur discussion de plus en plus approfondie, il évitera toute explication, répondant systématiquement aux questions de Vanda concernant son adaptation (ou le texte de Sacher-Masoch) par des questions, soulignant ainsi le côté foncièrement ambigu, au point d’énerver la jeune femme :

Vanda. – I guess she was always ready, before she even got there.
Thomas. – Was she ?
Vanda. – Will you stop that ? You wrote it, you tell me.
Thomas. – I don’t know if she was "ready", as you say. […]
Vanda. – I guess you wanted it ambivalent.
Thomas. – Ambiguous.
Vanda. – Ambiguous. […] Or, is she cutting him a tougher deal – be my slavey for a year and then you get to fuck me? You were trying to be ambivalent.
Thomas. – Ambiguous.
Vanda. – Ambiguous. (p. 36-37)

      Ainsi, l’ambiguïté de la nouvelle est très largement explicitée par Ives, également par le biais de sa remédialisation sous forme de pièce de théâtre par Thomas qui représente, comme toutes les remédialisations de ce genre, forcément une concentration, une condensation du texte en prose relativement long. Sans vouloir analyser ce processus, nous souhaitons simplement signaler qu’il sera renforcé par Roman Polanski qui écrira en collaboration avec David Ives le scénario de son film éponyme avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric. Une autre difficulté principale de cette remédialisation réside dans la réalisation des scènes de violence, qui sont essentielles à l’intrigue. Thomas résout la question d’une part en faisant imaginer à Dunayev des futurs supplices qu’elle expose à haute voix à la victime, suivi d’un « Would you like this ? » (p. 65). D’autre part, son adaptation semble exiger des fustigations sur scène, difficulté qu’Ives contourne aisément, puisque la pièce dans la pièce est récitée sous forme d’audition, ce qui permet de se contenter de simulations, indiquées par les didascalies (« [She mimes stroking his cheek.] », p. 58 ; « [Mimes "wipping" him.] », p. 59 ; en italiques dans le texte).
      Vers la fin, une certaine violence « réelle » s’installe sur scène ; elle marque alors le revirement total de la situation. Dans la nouvelle, Wanda devient de plus en plus cruelle, sans que Séverin n’en démorde. Elle dépasse les limites en le faisant fouetter au sang par un (prétendu) amant, ce qui « guérit » le jeune homme de sa passion. Dans la pièce de Thomas, Dunayev admet sa vraie nature de « faible femme », mais l’évolution du rapport de force dans le couple Vanda/Thomas est beaucoup plus subtil. Au début, il se situe à l’exact opposé de celui entre Séverin et Wanda. L’actrice arrive et elle est en position de suppliante, Thomas ayant tout le pouvoir de son côté. Elle obtient sa première « victoire », être auditionnée, par des larmes et en profitant d’un moment de distraction de Thomas qui lui permet d’enfiler une robe blanche « very 1870 » (p. 8). Par des flatteries, elle convainc l’auteur de lui donner la réplique. Elle reste donc dans la posture de la femme soumise, se montre ignare, ne comprend même pas correctement les indications du metteur en scène. Elle souligne son infériorité (« I’m juste an actrice », p. 14), juste après avoir critiqué la misogynie du texte pour la première fois, s’arrêtant néanmoins à la dédicace, donc à une citation avec plusieurs niveaux d’intertextualité, représentant des millénaires d’oppression du sexe « faible ». Mais directement après cette marque de déférence, elle prend l’initiative, changeant l’éclairage de la scène. Ce détail n’est aucunement anodin, parce qu’il démontre qu’elle possède des compétences qui dépassent celle de la simple actrice. En choisissant elle-même la lumière sur scène, elle s’arroge d’une part une décision généralement prise par le metteur en scène ; d’autre part, elle exerce un métier, celui de l’éclairagiste, qui est technique, donc par définition plutôt masculin lui aussi. Elle garde cependant sa place subordonnée, demandant la permission d’agir, et commentant son intervention comme un simple « essai » (« I’ll just try something », p. 14).
      Ce qui paraît être une première épreuve de force – le metteur en scène demande à l’actrice de se déplacer d’une certaine manière, ce qu’elle refuse – est tout ce qu’il y a de plus convenu, et finit par une ample victoire du premier, victoire explicitée par Vanda : « God, you’re so rigth. This does feel better. » (p. 31 [28] ) À l’exact milieu de la pièce, elle établit implicitement un parallèle entre la situation qu’elle est en train de vivre et celle qu’elle récite, parlant de Séverin : « He’s auditioning her. » (p. 37) La réponse de Thomas semble se rapporter uniquement au texte de Sacher-Masoch et au sien : « She’s auditioning him, too. » (ibid.) Toutefois, par ces quelques mots, il place les deux personnages exactement au même plan, et ce faisant, il commence à percer le mur que la hiérarchie avait érigé entre lui et l’actrice, s’intéressant à elle comme personne : « Who are you, Frau Vanda Jordan ? » (ibid.) Il s’agit ici du point de bascule, ce qui est renforcé par la civilité « Frau », par laquelle il efface la frontière entre la femme en face de lui et le rôle qu’elle incarne.
      Par la suite, la fusion entre les deux niveaux de la pièce d’Ives continue systématiquement, et avec elle le renversement des pouvoirs. D’abord de manière imperceptible, lorsque Vanda, dans une réplique de Dunajev, demande un café à Séverin, et ensuite, elle sort du rôle en en demandant un pour du vrai à Thomas, le plaçant ainsi dans la position soumise : « Thank you for the coffee. Slave. [A pause.] Now I really do need some. Coffee, I mean. » (p. 39) Sans relever tous les détails, notons les étapes principales de cette évolution. Juste après le café, elle prend en main les deux fonctions qui déterminent le pouvoir de Thomas, d’auteur et de metteur en scène, en lui expliquant qu’il est indispensable d’intégrer dans son adaptation la scène initiale de la nouvelle, l’apparition initiale de Venus, et elle le pousse à improviser avec elle. Après l’avoir doucement contraint de se prêter à ce jeu, elle lui donne un premier ordre qui pourrait être puisé chez Sacher-Masoch, de placer la fourrure autour de ses épaules. « So drape me. You’re the director. » (p. 41) Comme pour faire passer inaperçue cette transgression, cette prise de pouvoir, elle ajoute la deuxième phrase sensée confirmer la position de Thomas, que Vanda s’est appropriée à ce point de l’intrigue, car elle continue : « Now go to your desk. Go on. In character. » (p. 42) Au moment où Séverin a signé le contrat présenté par Wanda [29] , elle change son nom pour l’appeler désormais Gregor, mais Vanda décide – malgré les vaines protestations de l’auteur (« It’s Gregor in the script », p. 57) – de le nommer « Thomas », ce qui brouille définitivement les plans de la pièce d’Ives, et place Vanda dans la position de supériorité qu’elle a déjà prise dans le rôle de Dunayev. Ainsi, demandant comme chez Sacher-Masoch l’argent et le passeport de son « esclave », elle dépouille le metteur en scène de son portefeuille qu’elle met dans son sac. Finalement, Vanda exige de Thomas qu’il appelle sa fiancée pour l’informer sans explication aucune qu’il ne rentrerait pas, petite scène qu’elle intègre parfaitement dans le dialogue entre Dunayev et Séverin.
      Comme nous l’avons vu, le dénouement de l’adaptation donne un nouveau tour à la misogynie de la nouvelle en faisant « craquer » Dunayev qui exprime toute sa faiblesse de femme : « I’m week. I’m so lost […] Now do with me what you will. Only promise you’ll never leave me. » (p. 71) Il est évident que – après avoir pris tous les pouvoirs – Vanda, qui, rappelons-le, connaît le texte de Thomas par cœur, ne peut pas se glisser dans la peau de cette femme assujettie, d’autant moins qu’elle abandonnerait comme elle la position de domination difficilement acquise et opposée à la distribution « traditionnelle » des pouvoirs (femme/homme ; actrice recherchant un rôle/metteur en scène). Pour s’éviter ce triste sort, Vanda a recours à un stratagème astucieux : après avoir subjugué Thomas, elle inverse aussi la distribution des personnages dans la pièce qu’ils récitent.
      Ainsi, Davis Ives réussit à exploiter au maximum la dimension théâtrale du masochisme. Il explicite l’ambiguïté de la nouvelle dans ses dialogues. Le revirement de la personnalité de Séverin qui de masochiste devient le tyran de sa pauvre épouse, est triplé dans la Venus in Fur : ici, nous assistons d’abord à la prise de pouvoir de l’actrice vis-à-vis du metteur en scène, qui ensuite intervertit les rôles que chacun d’eux récite. Finalement, nous retrouvons une Dunayev (jouée par Thomas) qui révèle sa « vraie » nature de « faible » femme après avoir exercé une domination absolue au moment où Kushemski (joué par Vanda) se comporte enfin « en homme » – ce qui peut à juste titre être interprété comme un trait extrêmement misogyne. Thomas a adapté l’évidente misogynie de Sacher-Masoch, et il l’a aussi adoptée dans son comportement ; il suffit de se rappeler son comportement suffisant envers Vanda lorsqu’elle arrive, et surtout sa toute première tirade contre les actrices qu’il avait vu défiler dans la journée : il leur reproche leur incompétence, leur « stupidity » (p. 4) ainsi que leur manque de féminité, pour conclure énervé : « I’d be a better Vanda than most of these girls, all I’d have to do is put on a dress and a pair of nylons » (ibid.) – présomption et misogynie qui seront sévèrement punies par David Ives.

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  • ZAMIR, Tzachi, « The Theatricalization of Love », New Literary History, vol. 41, no. 1, hiver 2010, p. 129-150.

Notes

  • [1]

    Dans un article qui s’intéresse principalement à la mise en scène de l’érotisme, l’auteur souligne cet élément dès le résumé : « Is Wanda, the femme fatale of Venus im Pelz, the one in power ? Is it not the narrator-victim who creates and co-defines the rules of the game ? » Martin A. Hainz, « Cave Carnem. Eros, Macht und Inszenierung in Sacher-Masochs Venus im Pelz », dans arcadia, 39, 2004, p. 2-26, p. 2.

  • [2]

    Richard von Krafft-Ebing, Psychopathia sexualis. Eine klinisch-forensische Studie, Stuttgart, Ferdinand Enke, 1886. Étude médico-legale. Psychopathia sexualis. Avec recherches spéciales sur l’inversion sexuelle, trad. Émile Laurent et Sigismond Csapo, Paris, Georges Carré, 1896. Pour la lecture de la nouvelle par Krafft-Ebing comme « étude de cas », voir Birgit Lang, « The shifting case of masochism : Leopold von Sacher-Masoch’s Venus im Pelz (1870) », dans Birgit Lang, Joy Damousi, Alison Lewis, A History of the Case Study : Sexology, Psychoanalysis, Literature, Oxford, Oxford University Press, 2017, p. 19-54.

  • [3]

    Sacher-Masoch a enseigné l’Histoire à l’Université de Graz, ayant passé une HDR sur L’insurrection de Gand sous Charles Quint (Der Aufstand in Gent unter Kaiser Carl V.) publiée en 1857. À partir de 1870, il se consacre entièrement à la littérature, écrivant de très nombreuses nouvelles et des romans.

  • [4]

    « By 1869 Leopold von Sacher-Masoch (1835-1895) had reached the height of his literary fame. » Michael T. O’Pecko, « Comedy and Didactic in Leopold von Sacher-Masoch’s “Venus im Pelz” », dans Modern Austrian Literature, 25, 2, 1992, p. 1-13, p. 1.

  • [5]

    « […] its controversial subject matter called forth in Austria and Germany a critical reception that was as negative as the earlier reviews had been positive. » Ibid., p. 2.

  • [6]

    « The French reception, on the other hand, was quite positive. » Ibid., p. 11.

  • [7]

    Le catalogue général de la BnF comporte en moyenne une édition du texte par an depuis 2009.

  • [8]

    Pour une comparaison entre Venus im Pelz et la dernière des six nouvelles de cette première partie, Marzella, voir Birgit Lang, op. cit.

  • [9]

    Un choix de 36 nouvelles a été publiées en 1981 sous le titre Le Legs de Caïn. Contes galiciens (trad. de l’allemand et introd. par Bernard Lambert, Paris, Nouvelles Éditions Oswald). La Vénus à la fourrure fait évidemment partie des textes choisis (« dont beaucoup étaient devenus introuvables » selon le site de l’éditeur) par Cécile Guilbert pour l’édition des Œuvres maîtresses de Sacher-Masoch dans la collection « Bouquins » de 2013. Depuis 2014, les éditions La Bourdonnaye ont publié de nombreuses nouvelles de l’auteur dans la série des Classiques érotiques.

  • [10]

    « […] alle großen Probleme, alle Gefahren des Daseins, alle Leiden der Menschheit nach 6 verschiedenen Gesichtspunkten. » Prospectus du Vermächtnis Kains, envoyé par Sacher-Masoch à l’éditeur J. G. Cotta ; cité d’après Don Juan von Kolomea : Galizische Geschichten, éd. Michael Farin, Bonn, Bouvier Verlag Herbert Grundmann, 1985, p. 179-180.

  • [11]

    Gilles Deleuze, Présentation de Sacher-Masoch. Le Froid et le cruel, Paris, Minuit, 1967/2007.

  • [12]

    Pascal Quignard, L’Être du balbutiement. Essai sur Sacher-Masoch, Paris, Mercure de France, 2013.

  • [13]

    Pour une comparaison de Séverin avec les autres héros de l’auteur, souvent plus positifs, v. O’Pecko, op. cit., p. 3.

  • [14]

    Les citations de l’original proviennent de l’édition en ligne téléchargeable (http://fr.feedbooks.com/book/3160/venus-im-pelz). Les pages des citations sont indiquées entre parenthèses.

  • [15]

    Cité d’après la traduction de Pierre Malherbet, Paris, Pocket, 2013. Les pages des citations sont indiquées entre parenthèses.

  • [16]

    Nous renvoyons à l’étude de Gilles Deleuze (op. cit.) et à l’article que Bernard Andrieu (« Le masochisme deleuzien, une sensorialité sans genre », dans Françoise Lartillot (dir.), Corps-image-texte chez Deleuze, Berne, Peter Lang, 2010, p. 65-76) lui a consacré.

  • [17]

    « […] grün, aber so wie es Edelsteine, wie es tiefe, unergründliche Bergseen sind. » (p. 35) La traduction littérale serait : « vert, mais comme le sont des pierres précieuses, des lacs de montagne profonds, insondables. » Pierre Malherbet traduit ces deux adjectifs par « profondeurs abyssales ». Nous avons légèrement modifié sa traduction pour insister sur le côté insondable de Wanda von Dunajew que l’auteur souligne ici, parlant de ses yeux.

  • [18]

    « “Mir ist die heitere Sinnlichkeit der Hellenen Freude ohne Schmerz – ein Ideal, das ich in meinem Leben zu verwirklichen strebe.” » (p. 37)

  • [19]

    Michiel Sauter, « Sacher-Masochs “Venus im Pelz”: Emanzipation oder Dämonisierung der Frau ? » dans Modern Austrian Literature, 30, 1, 1997, p. 39-47.

  • [20]

    « Severin educates Wanda to become a tyrant. » Birgit Lang, op. cit., p. 31.

  • [21]

    « Das Rätsel des Masochismus » ; Achim Geisenhanslüke, « Infame Ereignisse. Leopold von Sacher-Masochs Venus im Pelz », dans Zoltán Kulcsár-Szabó, Csongor Lörincz (dir.), Signaturen des Geschehens: Ereignisse zwischen Öffentlichkeit und Latenz, Bielefeld, Transcript-Verlag, 2014, p. 159-173, p. 161.

  • [22]

    Albrecht Koschorke, « A Masochist Falls Asleep Reading Hegel », trad. Joel Golb, dans MLN, 116, 3, German Issue, avril 2001, p. 551-563.

  • [23]

    Tzachi Zamir, « The Theatricalization of Love », New Literary History, vol. 41, no. 1, hiver 2010, p. 129-150, p. 137-138.

  • [24]

    David Ives, Venus in Fur. A Play, Evanston (Illinois), Northwestern University Press, 2011. Nous indiquons les pages entre parenthèses après les citations.

  • [25]

    Rosemary Malague (An Actress Prepares : Women and “The Method”, Abingdon, Routledge, 2012) analyse six pieces contemporaines, dont Venus in Fur, ayant une actrice comme protagoniste.

  • [26]

    Les citations de la pièce étant mises en italiques dans cet article, nous recourrons aux caractères romains pour rendre les italiques dans le texte de Davis Ives. Il utilise des italiques pour les didascalies et pour indiquer qu’un des deux personnages de sa pièce récite un rôle.

  • [27]

    Ives désigne Vanda par cette forme du patronyme de la Wanda de Sacher-Masoch lorsqu’elle récite de personnage de la pièce de Thomas.

  • [28]

    L’article relativement bref de Benjamin Stewart (« Of Ambiguity and Ambivalence Venus in Fur », dans Women& Performance: a journal of feminist theory, 23, 2, 2013, p. 318-322) résume la pièce d’Ives dans le détail, sans toutefois bien distinguer les deux notions ni prendre en compte les deux scènes où les termes apparaissent.

  • [29]

    Nous n’insistons pas sur le double-sens évident de cette réplique et de bien d’autres.

  • [30]

    L’importance du contrat sur laquelle Deleuze insiste, est aussi interprété par Elizabeth Anne Schreiber-Byers, Castrating the Female Dominant : An Analysis of Female Agency in Leopold von Sacher-Masoch’s Venus im Pelz. Mémoire de Master de l’University of North Carolina at Chapel Hill, 2008.

Pour citer cet article

Caroline Fischer, « Vénus à la fourrure ou la remédialisation d’une ambiguïté. Léopold von Sacher-Masoch (1870) et David Ives (2010) », SFLGC, bibliothèque comparatiste, publié le .../.../2019, URL : https://sflgc.org/acte/fischer-caroline-venus-a-la-fourrure-ou-la-remedialisation-dune-ambiguite-leopold-von-sacher-masoch-1870-et-david-ives-2010/, page consultée le 19 Avril 2024.

Biographie de l'auteur

FISCHER Caroline

PR de LGC à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour depuis 2009. Doctorat à la Freie Universität Berlin (1994, LGC), HDR à l’Université de Potsdam (2005, Philologie romane), de 2006 à 2009 PR de Littérature française et italienne à l’Université de Hambourg.
Publications principales :

Education érotique. Pietro Aretinos Ragionamenti im libertinen Roman Frankreichs. Stuttgart, Metzler, 1994. 383 p.
Gärten der Lust. Eine Geschichte erregender Lektüren. Stuttgart, Metzler, 1997. 336 p. (Munich, DTV, 2000)
Der poetische Pakt. Rolle und Funktion des poetischen Ich in der Liebeslyrik bei Ovid, Petrarca, Ronsard, Shakespeare, Baudelaire. Heidelberg, Winter, 2007, 349 p.
Konzepte der Rezeption, vol. 1. Réception productive : imitatio, intertextualité, intermédialité. Dir. en collaboration avec Diego Saglia et Brunhilde Wehinger, Tübingen, Stauffenburg, 2015, 232 p.
Konzepte der Rezeption, vol. 2. Esthétique de la réception : Le lecteur comme sujet de la réflexion esthétique – de Kant à la fiction interactive. Dir. en collaboration avec Brunhilde Wehinger, Tübingen, Stauffenburg, 2018, 207 p.
Intermédialités. Collection Poétiques comparatistes, Société Française de Littérature Générale et comparée, Nîmes, Lucie éditions, 2015, 204 p.
Un siècle sans poésie ? Le lyrisme des Lumières entre sociabilité, galanterie et savoir. Dir. en collaboration avec Brunhilde Wehinger, Paris, Champion, 2016, 286 p.